Pierres dressées : 3. Description
La carrière de Dombras:
La carrière de Dombras était ouverte en lisière de forêt. Des pierres calcaires en plaquettes (calcaires oolithiques à texture grainstone) du Bathonien moyen à supérieur y étaient exploitées comme simples matériaux servant à empierrer les chemins.
Ces strates calcaires de moins de 10 cm d'épaisseur sont intercalées entre des niveaux marno-argileux de la même épaisseur. Cette formation marno-calcaire correspond à une variation latérale de faciès de la "Dalle d'Etain" (fig.2).
Fig.2 : Colonne stratigraphique locale pour le Jurassique moyen montrant la position des calcaires de Dombras - âges en M.a. à gauche (illustration © BRGM)
L'action différentielle des cycles gel-dégel (gélivation ou cryoturbation) sur les bancs calcaires compétents et les niveaux marno-argileux incompétents a entrainé la dislocation et le redressement des strates calcaires initialement en position horizontale (fig.3 et 4).
Fig.3 : Vues en 2009 du front de taille cryoturbé avec ses strates redressées et ses "structures" en U (© BRGM).
Les structures en U (ou en auges) et le redressement des strates qui étaient encore très bien visibles en 2009 lorsque la carrière était en activité sont, du fait de la dégradation des fronts de taille non-ravivés, encore visibles mais moins faciles à mettre en évidence et surtout beaucoup plus difficilement accessibles en 2023.
Fig.4 : Vues sur les affleurements à la qualité dégradée en 2023. Le redressement des pierres et les structures en U sont néanmoins toujours visibles.
Expérimentation et explication des structures observées:
Des travaux expérimentaux ont apporté beaucoup à la compréhension de ces phénomènes de déformations liés au cycles gel-dégel.
Une telle désorganisation des strates du sous-sol est liée à la migration de l'eau par capillarité (cryo-dessication) et à la formation de lentilles de glace de ségrégation qui croissent par agrégation de glace nouvelle[1]. L'augmentation de taille de ces lentilles de glace entraîne alors des poussées verticales qui vont disloquer et déformer les structures sédimentaires.
Ces processus de géliturbation sont caractéristiques des régions périglaciaires et nécessitent des conditions particulières : "une pente nulle ou très faible, l’hétérométrie des formations superficielles incluant une fraction fine importante et une bonne alimentation en eau qui peut être autorisée par la présence d’un pergélisol" [3 et 4]. Les pierres dressées de Dombras sont donc ici fossilisées et probablement héritées des derniers épisodes froids du Pléistocène (Quaternaire).
À l'échelle locale, ce phénomène spectaculaire peut-être observé en hiver sous la forme de "fleurs de glace" qui déforment les sols et déplacent des petits fragments de roche (fig.5). Il est aussi bien connu pour soulever et dégrader les chaussées ou les chemins au moment du dégel ! Des travaux de mise hors-gel des chaussées permettent de limiter ces effets d'accumulation de glace de ségrégation et les déformations qu'elles induisent (voir par exemple ICI).
Fig.5 : Glace de ségrégation et "fleurs de glace" soulevant des petits fragments de roche.
La force exercée par les lentilles de glace est appliquée perpendiculairement à leur allongement et à la surface du sol[1] d'où le redressement spectaculaire des strates comme cela est observé à Dombras.
Les expériences réalisées par Brigitte Van Vliet-Lanoé[2][3] (colonne 2 de la fig.6) montrent que les "plaquettes calcaires" arrivent à être expulsées vers le haut si le nombre de cycles gel-dégel est important (c > 500 cycles gel-dégel dans la colonne 2 de la fig.6).
En surface, ces structures se manifestent par la mise en place de sols à cercles ou à polygones triés contigus, observables lorsque la végétation fait défaut (ex. dans le Massif montagneux du Chambeyron - Alpes-de-Haute-Provence : ICI).
Fig.6 : Résultats de travaux expérimentaux. (© B. Van Vliet-Lanoé et al. 1985 in B. Van Vliet-Lanoé 1987[2][3]) - cliquer pour zoomer sur les colonnes 2 et 4
Modèle analogique réalisable en classe ou à la maison:
Une expérience peut facilement être menée (voir fig.7) avec peu de matériel nécessaire = du sable, de l'argile, de l'eau et un congélateur ; elle ne nécessite que de la patience!
Fig.7 : Expérience pour comprendre le phénomène de cryoturbation. (© BRGM - d'après La Terre, André Prost, Belin éd.,1999)
Autres exemples de formations et structures associées aux cycles gel-dégel:
D'autres exemples de l'action des cycles gel-dégel peuvent être abordés sur ce site :
- Action de la cryoturbation sur des sédiments détritiques meubles d'un delta proglaciaire avec la formation de "coins de glace" dans la carrière du Pré J'Espère au Tholy.
- Action de la cryoclastie sur les Calcaires oxfordiens avec fracturation des blocs (Ménil-la-Horgne (55)) allant jusqu'à la formation de petits granulats, constituants des "grèzes" ou "groises" ou "grouines" (Coussey (88), Domrémy (88), Sorcy (55), Marbotte-Apremont (55) ou Senonville (55)...).
- Action de la cryofracturation sur des roches magmatiques à différentes échelles: voir Le Valtin et Ban-sur-Meurthe.
Consulter aussi un document pédagogique crée par l'APBG ICI ou http://orleanstours.apbg.free.fr/IMG/pdf/Cryoturbation.pdf
Bibliographie:
[1] Pissart A. (1970) - Les phénomènes physiques essentiels liés au gel, les structures périglaciaires qui en résultent et leur signification climatique. Annales de la Société Géologique de Belgique, Tome 93, pp.7-49.
[2] Van Vliet-Lanoé B., Dupas A. et Coutard J.P. (1985) - Soulèvement cryogénique de petites pierres par la glace en lentilles. Rôle initiateur de la cryo-dessication. Bull. Centre Géomorphologie CNRS Caen, 30, pp.77-83.
[3] Van Vliet-Lanoé B. (1987) - Dynamique périglaciaire actuelle et passée. Apport de l'étude micromorphologique et de l'expérimentation. Bulletin de l'Association Française pour l'Etude du Quaternaire, 24-3, pp.113-132. - lien de consultation.
[4] Masson B. et Vallin L. (2010) - Altération des sols paléolithiques par la formation de sols figurés sous climat périglaciaire : approche expérimentale et illustrations archéologiques - Paléo, Supplément n°3, pp.77-92. - lien de consultation.
Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 22/02/2023 - Dernière modification : 26/07/2023