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Limon à pisolithes de Fer Fort : 3. Description

  1. Le paléoméandre perché et les dépôts alluviaux

Le site est un ancien méandre de la Chiers perché à 265 mètres d'altitude environ qui entaille le plateau de la Côte de Moselle (fig.1, 3 et 4 - voir aussi un autre paléoméandre perché de la Chiers à Nepvant). Il domine le cours actuel de la rivière qui s'est encaissé de plus de 70 mètres dans les calcaires du Bajocien (Jurassique moy.) jusqu'à atteindre les marnes du Lias (Jurassique inf.). Sur le plateau, le méandre perché a été creusé dans les calcaires de l'Oolithe de Doncourt du Bajocien supérieur (fig.2).

Fig.2 : Position du méandre perché et du cours actuel de la Chiers par rapport à la stratigraphie locale du Jurassique inf.-moy. - âges en M.a. à gauche (illustration © BRGM)

Le pépin du méandre ("le Rond Buisson" - fig.3 et 4) est bien visible et culmine à 279 m (voir aussi les autres méandres abandonnés décrits sur ce site : pour la Chiers à Nepvant, pour la Saulx à Stainville, pour la Meuse à Doulcon ou pour la Sarre et la Blies à Blies-Ebersing).

Fig.3 : Vue vers le SO du plateau entaillé par le paléoméandre (dépression en arrière plan) - cliquer sur l'image pour l'agrandir

Les principaux dépôts continentaux qui nous intéressent ici se situent à l'intérieur du méandre sur sa rive convexe correspondant à la zone classique de sédimentation ("point bar"), là où la vitesse du courant est la moins élevée (fig.4).

Fig.4 : Dynamique dans un méandre (© Pomerol C., Lagabrielle Y. et Renard M. 2005 modifié) et dépôts des alluvions contenant le fer fort (points rouges) sur la rive convexe en pente douce (© IGN-Géoportail) - cliquer sur la carte pour obtenir un profil topographique du paléoméandre

  1. Altérites résiduelles des "limons des plateaux"

Les principaux plaquages résiduels rencontrés sur le site sont des accumulations de "limons" à pisolithes de fer fort (fig.5), à petits silex (fig.9) habituellement rattachés aux formations crayeuses du Crétacé supérieur et à des résidus de silicifications, les Pierres de Stonne (du nom d'une commune des Ardennes françaises) ou de Grès-quartzite du Landénien (équivalent local en Belgique du Thanétien marin et du Sparnatien continental observés en France), fragments de silcrètes qui peuvent être fossilifères (Voisin, 1981 ; Quesnel et al., 2003).

À noter que le terme de "limon", d'usage en géomorphologie, désigne un dépôt continental meuble de la classe des lutites (ou pélites), constitué de particules fines détritiques, d'une taille comprise entre 63 µm et 2 µm, correspondant aux silts des géologues sédimentologues. En toute rigueur, le terme de silt, validé par la classification des roches détritiques en vigueur, devrait prévaloir et remplacer celui de limon, dont l'utilisation dans la littérature déborde largement le cadre de son acception granulométrique (voir par exemple, cette publication du BRGM, 2012 : ICI).

Fig.5 : Pisolithes de fer fort disséminés dans les "limons" des labours.

 

  1. Les Pierres de Stonne : des reliques d'altérites siliceuses

Les Pierres de Stonne s.l. correspondent à un ensemble hétérogène de types pétrographiques originellement sédimentaires siliceux, résiduels, de tailles variées (plurimétrique à centimétrique), à patine brunâtre ou verdâtre (due aux oxydes ferreux), ayant subi un ou plusieurs épisodes de silicification secondaire pédogénétique, justifiant l'appellation de silcrètes. D'un point de vue granulométrique et textural, on distingue les trois "faciès" suivants (Voisin, 1988) :

  • des grès fins ou quartzites (voire siltites), à matrice silto-pélitique, très durs, correspondant à la Pierre de Stonne s.str. (fig.6 - voir un cliché de lame mince tiré de l'ouvrage de L. Voisin, 1988) ;
  • des grès blancs fins à grossiers à cassure saccharoïde désignant les grès "saccharoïdes" ou Grès landéniens souvent associés aux Pierres de Stonne s.str. (fig.7) ;
  • des conglomérats (brèche ou poudingue) le plus souvent à silex, pouvant également accompagner les Pierres de Stonne s.str. ; des éclats de silex épars (fig.9) peuvent éventuellement provenir de ces conglomérats mais ces derniers n'ont pas été récoltés à Charency-Vezin.

La répartition géographique de la Pierre de Stonne s.l. s'étend, en France, depuis le sud du Massif de l'Ardenne (Thiérache et Argonne) jusqu'en Lorraine septentrionale (environs de Longuyon). Sur les cartes géologiques à 1/50 000, les Pierres de Stonne sont généralement répertoriées au sein des formations superficielles nommées "Limons des plateaux" - notés "LP". Ces unités représentent localement (i.e. en Lorraine) "des dépôts argilo-limoneux du Quaternaire (Pléistocène), jaunes à roux, à matrice très finement sableuse, parfois micacée, à concrétions ferrugineuses (= limonite ou fer fort), résultant essentiellement de la décalcification-argilisation sur place des calcaires, (...) apparaissant le plus souvent en placages, mais pouvant atteindre 3 mètres de puissance" (source : fiche Surcouche Limons des plateaux - BRGM, 2012).

Fig.6: Pierres de Stonne s.str. = grès fin avec caries, patine (éolisation) et texture grumeleuse (échantillon de gauche) - la réglette blanche fait 1 cm.

Les éléments de datation sont peu nombreux. Seuls les grès saccharoïdes ont révélé la présence de débris de coquilles, appartenant à des mollusques bivalves marins (fig.7) et rattachés au Thanétien (moyen et supérieur), dernière époque du Paléocène (Voisin, 1981).

Fig.7 : Pierre de Stonne (2 faces du même échantillon) de type "grès saccharoïde" avec fossiles (fragments de coquilles de bivalves indéterminés) - la réglette blanche fait 1 cm.

Les Pierres de Stonne seraient ainsi issues du démantèlement de dalles gréseuses résultant de dépôts côtiers (grès saccharoïdes) ou alluvionnaires (Pierre de Stonne s.str.), postérieurement soumises à l'altération continentale, au cours du Cénozoïque. En effet, les blocs siliceux sont souvent parcourus par des réseaux de "perforations" attribuées à des traces de racines, preuves du développement de peuplements végétaux (zones arborées et prairies) sur ce substratum (Voisin, 1988). Par ailleurs, certains échantillons peuvent porter des figures d'éolisation. Ces observations traduisent un environnement climatique régi par l'alternance d'épisodes arides et humides.

Fig.8 : Répartition des types d'altération en fonction de la paléotopographie et contexte de formation des Pierres de Stonne (silcrètes) au pied du Massif ardennais (astérisque vert) durant le Paléocène-Éocène moyen (modifié d'après Wyns, 2014)

Au Tertiaire, dans les domaines émergés du Bassin parisien et de ses bordures se développent des profils d'altération dont la répartition spatiale dépend des conditions de drainage, imposées par les paléotopographies (fig.8). Soulevés lors de la phase compressive pyrénéenne (Paléocène-Éocène moyen), la Lorraine et le Massif des Ardennes constituent des reliefs bien drainées où le lessivage (altération soustractive) favorise la mise place de profils d'altération kaolinitiques (monosiallitisation). Dans les dépressions de piémont du Massif ardennais, l'eau de lessivage, chargée en silice dissoute, s'infiltre et s'accumule dans des nappes souterraines superficielles hébergées dans les formations de grès. À faible profondeur, en zone vadose (i.e. zone non saturée en eau au-dessus du niveau de base ou niveau de saturation d'un aquifère), l'évaporation (accentuée en période aride) entraîne une augmentation de la concentration en sels dissous et une précipitation à l'origine de silicifications secondaires / silcrètes (altération additive) affectant le sommet des aquifères gréseux, futurs pourvoyeurs de Pierres de Stonne (Quesnel et al., 2003 ; Wyns, 2014).  

Fig.9 : Fragments de petits silex patinés récoltés sur le site montrant une cassure postérieure à la patine - la réglette blanche fait 1 cm.

Remarque critique ... une autre explication plausible : La présence de ces silicifications à Charency-Vezin pourrait également avoir une origine anthropique. Les grès-quartzites du Landénien ont notoirement servi, du fait de leur dureté, de meules ou de polissoirs durant tout le Néolithique (Fronteau et al. 2017) et des fragments de ces meules ont été dispersés... quant aux silex (fig.9) ... qui ne sont pas roulés et montrent des cassures postérieures à la patine et avec des arêtes peu émoussées... ils pourraient tout aussi bien avoir été importés de Champagne, débités, utilisés, abandonnés sur place ou dispersés durant les millénaires d'occupation des plateaux lorrains pendant la Préhistoire....

 

  1. Le fer fort et le fer faible

Le fer fort (pour fort % en fer) à gangue siliceuse se distingue du fer faible (pour faible % en fer) à gangue calcaire ou minerai de fer oolithique de l'Aalénien ("Minette de Lorraine") par sa pureté (absence de phosphore en particulier) et surtout par sa forte teneur en fer (en moyenne 50 à 60 % et jusqu'à 80% de fer - Fizaine et al., 2016).

Pendant longtemps le fer fort a été considéré comme étant le seul "minerai" de fer susceptible d'être utilisé "de façon industrielle", et ce, jusqu'à la mise au point du procédé Thomas-Gilchrist vers 1870-1880. Le convertisseur Thomas à revêtement réfractaire "basique" en dolomie et goudron a remplacé le précédent convertisseur Bessemer à revêtement "acide" en sable damé. Ce procédé Thomas-Gilchrist permettait de mieux affiner la fonte en libérant le soufre et le phosphore qu'elle contenait, ce dernier allant dans les scories qui étaient ensuites utilisées comme un engrais pour l'agriculture. La mise au point de ce nouveau procédé d'affinage de la fonte permettait d'utiliser la "Minette" bien plus abondante en quantité mais beaucoup trop riche en phosphore, ce qui rendait les fontes cassantes.

Des études scientifiques récentes infirment complètement cette hypothèse et montrent que la "Minette" a en fait été utilisée beaucoup plus tôt, dès le Moyen-âge (Leroy et al., 2015a) et peut-être même depuis l'Antiquité (Leroy et al., 2015b). Au XVième siècle, la minette a par exemple servi à produire les tenons en fer utilisés pour renforcer la tour de Mutte lors de la construction de la cathédrale Saint-Etienne de Metz (Disser et al., 2019).

Le gisement de Fer fort

Pendant la première moitié du XIXème siècle, le fer fort a notamment été exploité de façon intensive dans le Pays-Haut à Saint-Pancré et par l'Empire Allemand à la Borne-de-Fer.

D'autres lieux décrits sur ce site attestent de la dispersion de fragments issus de ce gisement sous la forme de pisolithes disséminés en surface dans les labours (fig.10 et voir aussi fiche de Reffroy)  ou piègés dans des poches du karst (voir la fiche de la  Carrière d'Ottange-Rumelange).

Fig.10 : Pisolithes de fer fort en surface des labours et rassemblés par les eaux de ruissellement dans les rigoles.

Ce fer fort est issu d'une altérite. Il a une origine pédogénétique et correspond aux fragments d'une cuirasse latéritique âgée du Crétacé inf. (Quesnel et al., 2003).

Les climats tropicaux chauds et humides du Crétacé Inférieur voire de l'Eocène Moyen (Quesnel, 2003 - Thiry et al., 2006 - cf. fig.8) remplissaient toutes les conditions : température élevée qui augmente la vitesse des réactions d'hydrolyse (loi d'Arrhénius), présence d'eau en abondance qui entretient ces réactions nécéssaires à une altération chimique intensive des roches mises à l'affleurement et qui renouvelle les solutions de lessivage emportant les produits de ces réactions.

Les hydroxydes de fer sont insolubles et précipitent (cf. diagramme de Goldschmidt) ; ils s'accumulent avec les argiles des horizons d'altération (saprolites) soit sur place formant une sorte de "cuirasse" comme à la Borne de Fer, soit après démantellement de la cuirasse et une phase de transport et de tri, dans des pièges karstiques dans les calcaires bajociens (les calcaires n'ont pas échappé à l'altération et un karst contemporain a été creusé dans les mêmes conditions de climat tropical) comme à Ottange-Rumelange ou à St-Pancré, soit enfin disséminés en surface et constituant des sortes de petits "placers", après un transport fluviatile plus ou moins long qui les aura éloignés de leur lieu de formation initial comme à Reffroy ou ici à Charency-Vezin.

En résumé, les altérites siliceuses (Pierres de Stonne) et celles ferralitiques (fer fort) représentent les reliques d'anciennes surfaces d'altération, mises en place à l'issue de la continentalisation progressive de la région, au Crétacé inférieur (ferricrètes), d'une part et au cours du Paléogène (silcrètes), d'autre part (fig.11).

Fig.11 : Schéma conceptuel des relations entre les surfaces d’altération crétacée et paléogène en Lorraine, le Fer fort (gisements de Saint-Pancré et de la Borne de fer) et les Pierres de Stonne (illustration © BRGM, 2010)

 

Références bibliographiques:

Cartannaz C. et Dolliou V. (2010) – Notice explicative de la carte des curiosités géologiques de la Lorraine. BRGM/RP-57546-FR, 106 pages.

Disser A., Leroy M., Dillmann P., L’Héritier M., Merluzzo P. (2019) - La Mutte, le fer et la minette. Recherches sur l’origine des renforts métalliques utilisés dans la construction de la tour de Mutte de la cathédrale Saint-Étienne de Metz. Annales de l’Est, 37 pages.

Fizaine J.P., Harmand D. et Ollive V. (2016) - Le minerai de Fer Fort des plateaux du Bajocien des régions frontalières du Pays-Haut (France), de la Gaume (Belgique) et du Gutland (Grand-Duché de Luxembourg). Anthropologica et Praehistoria, 126/2015, pp.121-135.

Fronteau G., Boyer F., Frouin M., Jaccottey L., Lepareux-Couturier S., Milleville A. et Picavet P. (2017) - Les principales pierres meulières utilisées en Champagne-Ardenne : gisements, matériaux, utilisations. In Revue Archéologique de l'Est, Supplément n°43 : Les meules du Néolithique à l'époque médiévale : technique, culture, diffusion. Actes du deuxième colloque du Groupe Meules, Reims, 15-17 mai 2014. pp.35-51.

Leroy M., Merluzzo P. et Le-Carlier-de-Veslud C. (2015a) - Archéologie du fer en Lorraine. Fensch Vallée Ed., 372 pages.

Leroy S., L'Héritier M., Delqué-Kolic E., Dumoulin J.-P., Moreau Ch. et Dillmann Ph. (2015b) - « Consolidation or initial design? Radiocarbon dating of ancient iron alloys sheds light on the reinforcements of French gothic cathedrals », Journal of Archaeological Science, 53, pp.190-201.

Pomerol C.,  Lagabrielle Y. et Renard M. (2005) - Éléments de géologie, 13e édition, Dunod Ed., 760 pages.

Quesnel F. (2003) - Paleoweathering and palaeosurfaces from northern and eastern France to Belgium and Luxembourg: geometry, dating and geodynamics implications. In : F. Quesnel (coord.), Structural, Morphologic and Hydrologic consequences. Special conference on paleoweathering and paleosurfaces in the Ardenne-Eifel region at Preizerdaul (Luxembourg) on 14 to 17may 2003, Géologie de la France, 1 (4), pp.95-104.

Quesnel F., Thévenaud H., Voisin L. et Wyns R. (2003) - The "Pierres de Stonne" and the "Borne de Fer" as main features of Meso-Cenozoic palaeoweathering of the Upper Lorraine and Ardennian Thierache areas (Ardennes and Moselle departments, France). In Geology of France and Surrounding Areas, n°1, Special Conference on "Paleoweathering and Paleosurfaces in the Ardennes-Eifel region", at Preizerdaul Luxembourg, 14-17 mai 2003, Field trip guides, 28 pages.

Thiry M., Quesnel F., Yans J., Wyns R., Vergari A., Thévenaut H., Simon-Coinçon R., Ricordel C., Moreau M.-G., Giot D., Dupuis C., Bruxelles L., Barbarand D. J. et Baele J.-M., (2006) - Continental France and Belgium during the Early Cretaceous: paleoweatherings and paleolandforms. Bulletin de la Société géologique de France, 177 (3), pp.155-175.

Voisin L. (1981) - Les silicifications en Thiérache ardennaise. Implications paléogéographiques. Revue Géographique de l'Est, 21-4, pp.265-276.

Voisin L. (1988) - Introduction à l'étude de la Pierre de Stonne et des formations siliceuses associées au Sud-Ouest de l'Ardenne. Mémoire Hors Série de la Société d'Histoire Naturelle des Ardennes, 44 pages.

Wyns R. (2014) - Le Bassin parisien du Tertiaire à l'Actuel, in Le Bassin parisien, un nouveau regard sur la géologie ; Gély J.-P. et Hanot F. (dir.). Bull. Inf. Géol. Bass. Paris, Mémoire hors-série n°9, p.85-93.


Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 22/02/2023 - Dernière modification : 03/08/2023

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