Eaux thermales d'Amnéville : 3. Description
Historique
En 1909, lors d'une recherche de houille par forage, la famille Wendel découvre à 956 m de profondeur une source chaude minéralisée sur la commune d'Avril (54) au lieu-dit Pérotin. Cette source artésienne entraîne, du fait de la pression liée à son jaillissement, une interruption forcée du forage. Elle portera le nom de "source Pérotin". Sa température de 49°C et son débit de 456 L par minute seront ensuite mis à profit pour remplir une piscine thermale (fig.3 à 5), construite en 1914 par l'armée allemande pour ses soldats venus soigner leurs maux. Une baisse de débit dès les années 1950 puis son tarissement en 1971 (probablement consécutifs à un écrasement du tuyau de forage) scelleront l'histoire de ce site qui sera abandonné, les élus locaux n'arrivant pas à se mettre d'accord sur l'utilité de forer un nouveau puits [1].

Fig.3 : Tête du forage de la source Pérotin en 1948 (crédit photo : Nature & source chaude)

Fig.4 : La piscine "thermale" construite par les troupes allemandes en 1914 et aujourd'hui disparue (crédit photo : Nature & source chaude)

Fig.5 : La piscine "thermale" dans les années 1950 (carte postale ancienne)
Aujourd'hui, la piscine a disparu. Il ne subsiste que le monument, dégradé, haut d'environ 3 mètres, qui contenait la tête du captage (fig.6).
Fig.6 : Le monument installé sur le captage de la source Pérotin vers 1960 (?) - carte postale ancienne Pierron & Cie. éd. non datée - et vestiges du monument en 2025 - cliquer sur l'image pour zoomer sur la plaque du monument
Entre février et avril 1979, impulsé par le Dr. Jean Kieffer alors député-maire d'Amnéville, un nouveau forage est réalisé dans le bois de Coulange sur un ancien site sidérurgique à 10 km de la source Pérotin tarie. De l'eau chaude à 41,2 °C jaillit à nouveau lorsque le forage atteint le Grès Vosgien à - 900 m. La nouvelle source sera appelée "Source Saint-Éloi", en référence au saint-patron des forgerons et des sidérurgistes (fig.1, 7 et 13).

Fig.7 : Captage de la source Saint-Éloi 1 sur le parvis du centre de cure Saint Éloy
Au droit du forage, à l'emplacement du futur centre de cures Saint Éloy, une sorte de grosse baignoire récupère l'eau thermale. Cette installation très rudimentaire est rapidement remplacée par une première piscine thermale inaugurée en 1980 (fig.8) ; elle est gratuite mais de taille modeste et d'un confort sommaire : un simple cabanon en tôles sert de vestiaire et le bassin de 9 m sur 4 m, alimenté par des grosses buses, ne contient que 43 m3 d'eau.

Fig.8 : Les débuts du thermalisme à Amnéville : la "baignoire thermale" vers 1979 (crédit photo : B. Munier) et la première piscine thermale en 1981 (crédit photo : archives Le Répulicain lorrain)[2]
L'eau de la source St.-Eloi est de nos jours utilisée par 3 établissements thermaux distincts : le Centre Thermal Saint Eloy, le centre Thermapolis et la Villa Pompéi (voir fig.1).
Pour subvenir aux besoins en eau thermale, un nouveau forage sera ensuite réalisé en 1989, à proximité du crassier et de la salle de spectacle d'Amnéville (fig.1, 9 et 13).

Fig.9 : Forage Saint-Éloi 2 au pied du crassier
Le crassier (fig.10 et 11) est une accumulation de résidus de fonte (laitier, scories) occasionnés par l'activité sidérurgique locale. Ce terril forme un relief de 40 mètres de haut, sur lequel ont été construits la salle de spectacle "Galaxie" et d'autres équipements, sportifs ou de loisirs (piste de ski indoor et golf).

Fig.10 : Crassier sous la salle de spectacle "Galaxie" à droite


Fig.11 : Vues aériennes du crassier de laitier et scories (déchets inertes de l'industrie métallurgique) en cours d'édification (1950-1965) et de son évolution (période post-sidérurgie actuelle) - source : IGN-Géoportail - Remonter le temps
Composition, propriétés et origine de l'eau thermale
L'eau de la station thermale d'Amnéville a été reconnue et agréée par le Ministère de la Santé le 13 juin 1986.
Elle est chaude (variations entre 41,5 et 42° C), d'où sa dénomination d'eau thermale, et fortement minéralisée : près de 15 g de sels dissous par litre dont environ 1,5 g de calcium Ca par litre et 100 mg de magnésium Mg par litre (tab.1). Elle contient également de nombreux oligoéléments (eaux oligométalliques) parmi lesquels du sodium Na, de l'arsenic As, du soufre S, du manganèse Mn, du cuivre Cu, du zinc Zn et aussi du gaz CO2. Elles sont également légèrement radioactives.

Tab.1 : Composition moyenne des eaux thermales (forages Saint-Éloi) - source : AFTH 2020 [3])
La nature des eaux d'Amnéville est de qualité chlorurée-sodique (fig.12), ce qui les rapproche des eaux thermales de Plombières ou de Nancy (qui exploite le même réservoir profond - fiche à venir) mais les distingue aussi d'autres eaux thermales de la région : eaux bicarbonatées-sodiques de Bains-les-Bains, eaux sulfatées-calciques de Contrexéville, de Martigny-les-Bains et de Vittel.

Fig.12 : Diagramme de Piper montrant le faciès des eaux thermales d'Amnéville (comparé à d'autres eaux thermales du territoire français - d'après Risler, 2006) selon leur composition en cations et anions. Le diagramme de Piper résulte de la combinaison de deux diagrammes ternaires (un pour les anions, l'autre pour les cations) dont l'utilisation est similaire à celle d'un diagramme de Streckeisen pour la pétrographie des roches magmatiques.
Cette eau est en particulier utilisée pour soigner les pathologies ORL, la rhumatologie et les séquelles de traumatismes ostéoarticulaires accidentels ou post-opératoires. Plus de 11 000 curistes ont fréquenté la station thermale en 2023.
Fig.13 : Terrains et épaisseurs traversés par les forages de Saint-Éloi pour atteindre l'aquifère des eaux thermales - source : SIGES Rhin-Meuse - BRGM [4] (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Les forages Saint-Éloi sont profonds de 900 m. À l'origine artésiens, ces puits captent à une dizaine de mètres de profondeur, les eaux du grand réservoir aquifère des grès du Trias inférieur ou "GTI" (fig.13 et 14), qui s'étend sur toute la Lorraine et représente un volume d'eau de 180 milliards de m3 [5]. Le débit des forages est de l'ordre de 300 L par minute.
Aujourd'hui, à cause du rabattement de la nappe, les forages ne sont plus artésiens, sauf au moment du confinement Covid (2019-2020) pendant lequel les puits débordaient à nouveau (Guillaume Dumas - communication orale). L'eau doit être pompée à une profondeur qui varie entre 6 et 11 mètres (voir fig.13) et la température de l'eau est globalement stable (variations entre 41,5°C et 42°C ; Guillaume Dumas - communication orale).
Fig.14 : Formations géologiques constituant l'aquifère des GTI (colonne stratigraphique © BRGM 2010) - cliquer sur l'image pour visualiser la carte hydrogéologique des GTI
L'aquifère des GTI [5] comprend plusieurs formations géologiques du Trias inférieur (ou Buntsandstein) de l'est du Bassin parisien (fig.14) dont l'épaisseur totale peut varier de 100 à 500 mètres ; de la base au sommet :
- le Grès d’Annweiler, alternance de lits argileux et de bancs gréseux : il est présent dans les Vosges mais disparaît vers l’ouest ;
- le Grès vosgien, constitué de grès grossiers à très fins à ciment ferrugineux, passant à un faciès conglomératique à sa base (Conglomérat inférieur) et à son sommet (Conglomérat principal) ;
- les Couches intermédiaires, constituées d’une alternance de grès feldspathiques (arkoses) et d'argiles ;
- le Grès à Voltzia, à grain très fin, plus argileux vers le sommet et auquel on associe le Grès coquillier lorsqu’il est présent.
La nappe libre des GTI (30 milliards de m3) est directement alimentée par les précipitations depuis les contreforts du massif vosgien en Haute-Saône jusqu'à la région de la Sarre, là où les grès infratriasiques du Buntsandstein affleurent, couvrant une surface de 3 075 km2 (fig.15 et lien hypertexte fig.14). En s'enfonçant vers l'ouest, suivant le pendage des couches dans cette partie orientale du Bassin parisien, la nappe devient captive (150 milliards de m3), coincée sous les couches imperméables du Trias moyen et supérieur. Dans le réservoir, la circulation de l'eau se fait du sud vers le nord (des Vosges vers la Sarre) ou du sud-ouest vers le nord-est (de la Meuse vers le nord de la Moselle). Les eaux acquièrent durant leur transit des températures et minéralisations croissantes.

Fig.15 : Coupe géologique schématique du contexte hydrogéologique de la nappe des GTI et des eaux thermales d'Amnéville
Grâce à des datations isotoqiques au carbone 14 (Blavoux et Olive, 1979 et 1981), réalisées sur une quarantaine de forage à travers toute la région, les eaux de la nappe captive des grès infratriasiques se sont révélées très anciennes sauf immédiatement en bordure de la mise sous couverture. Leur âge varie de 3 000 ans à plus de 30 000 ans (fig.16), ce qui correspond à des vitesses d’écoulement au sein de l'aquifère de 0,5 à 25 m par an (moyenne de 2,5 m par an). Les eaux captées à Amnéville ont vraisemblablement plus de 30 000 ans (fig.16).

Fig.16 : Carte de répartition des âges (isochrones) des eaux de la nappe des grès infratriasiques (d’après Blavoux et Olive, 1981)
En hydrogéologie, les rapports isotopiques de l'oxygène et de l'hydrogène/deutérium de la molécule d'eau (δ18O et δ2H ou δD) constituent des indicateurs naturels du cycle de l’eau qui varient en fonction de l'origine de l’eau (pluie, neige, eau de mer, etc.) mais aussi de l'altitude et de la région des zones d'alimentation, de la saison (voir principes et méthodologie in Fontes, 1976). Cela permet de déterminer si l’eau d'une nappe provient de précipitations locales, d’une recharge lointaine ou d’un mélange de sources. Ils reflètent également les conditions climatiques lors de la formation des précipitations. Ils peuvent donc être utilisés pour reconstituer les paléoclimats ou étudier les changements climatiques actuels. Ainsi, l'analyse complémentaire des isotopes de la molécule d’eau, réalisées sur la nappe captive GTI de la région de Vittel-Mirecourt (Vaute et al., 2013), montrent que l’origine des eaux est principalement météorique (fig.17) et que la recharge a pu avoir lieu, soit sous un climat tempéré, au cours de l'Holocène, postérieurement à la dernière glaciation (i.e. - 12 000 ans), soit durant une période plus froide du Plésitocène supérieur (antérieure à -12 000 ans).

Fig.17 : Exemple de diagramme des isotopes de l'eau δD vs. δ18O et de son interprétation pour la nappe des GTI dans le secteur de Vittel-Mirecourt - la plupart des mesures isotopiques de la nappe des GTI s'alignent bien avec la droite de référence de Craig, ce qui prouve l'origine météorique de l'eau en période actuelle interglaciaire ; quelques variations apparaissent localement (voir analyse complète in Vaute et al., 2013)
Compte-tenu de la minéralisation très faible des eaux dans la partie libre de la nappe (résidu sec de 10 à 400 mg.L-1), d'une part, et de l'homogénéité de la lithologie de l'aquifère gréseux infratriasique, d'autre part, la minéralisation élevée des eaux dans la partie captive de la nappe ne peut s'expliquer que par des apports extérieurs au réservoir. Une nouvelle fois, ce sont des traceurs isotopiques, les isotopes du strontium (Sr) et du lithium (Li) en l'occurrence, qui ont permis de mettre en évidence des processus de contamination par drainance (= migration verticale à travers une couche semi-perméable de séparation) des eaux de la nappe des calcaires du Muschelkalk (Trias moy.) vers celle des grès du Trias inférieur (Vaute et al., 2013). Des flux d'eau entre aquifères distincts sont aussi rendus possibles dans des secteurs parcourus par des failles d'importance.
La radioactivité des eaux thermales résulterait d'apports issus de fluides d'origine mantellique et transmis par l'intermédiaire du socle à la base de l'aquifère des GTI.
Remerciements
Nous remercions chaleureusement Bertrand Munier, écrivain et chroniqueur vosgien, de son aimable autorisation pour l'utilisation du cliché de la "baignoire thermale" (fig.8) tiré de son ouvrage "Le thermalisme en Lorraine - Au fil de l'eau ".
Nous remercions Mr Guillaume Dumas, Directeur du pôle thermal d'Amnéville, pour sa disponibilité.
Bibliographie et sitographie
(1) Blog "Nature & source chaude" de Fabrice Roth : https://www.natureetsourcechaude.com (consulté le 17 août 2025).
(2) Archives du quotidien Le Républicain lorrain : "Rétrospective : l'inauguration de la piscine thermale à Amnéville en 1980" - édition du 05 février 2020 ; lien de consultation (consulté le 17 août 2025).
(3) Actualités des techniques hydrothermales - Bulletin d'information de l'A.F.T.H. n°31 (2020) : https://www.afth.asso.fr/pdfs/bulletin-2020.pdf
(4) Système d’information pour la gestion des eaux souterraines du bassin Rhin-Meuse (SIGES Rhin-Meuse) : dossier sur la commune d'Amnéville ; lien de consultation (consulté le 17 août 2025).
(5) Système d’information pour la gestion des eaux souterraines du bassin Rhin-Meuse (SIGES Rhin-Meuse) : dossier sur l'aquifère des Grès du Trias inférieur ; lien de consultation (consulté le 17 août 2025).
Blavoux B., Olive P. (1979) - Étude isotopique de la nappe captive des GTI en Lorraine. AFBRM & SRAEL 18/09/1979.
Blavoux B., Olive Ph. (1981) - Radiocarbon dating of groundwater of the aquifer confined in the Lower Triassic sandstones of the Lorraine region, France. In : W. Back and R. Letolle (Guest-Editors), Symposium on Geochemistry of Groundwater - 26th International Geological Congress. J. Hydrol., 54 : 167-183. Stable-isotope and groundwater chemistry analyses on samples from about 40 boreholes.
Craig H. (1961) - Isotopic variations in meteoric water. Science, 133, p.1702-1703.
Fontes J.-C. (1976) - Les isotopes du milieu dans les eaux naturelles - La Houille blanche n°3/4 : lien de consultation.
Munier B. (2017) - Le thermalisme en Lorraine - Au fil de l'eau. Vademecum éd. - site web de l'auteur : https://ecrivainbertrandm.fr/
Pomerol C. et Ricour J. (dir.) - (1992) - Terroirs et thermalisme de France - Les eaux minérales françaises. BRGM éd., 288 pages.
Risler J.-J. (2006) - Eaux thermales et minérales in Aquifères & eaux souteraines en France - tome 2, J.-C. Leroux dir. - BRGM éd.
Vaute L., Innocent C., Fourniguet G. (2013) – Actualisation du modèle hydrogéologique de la nappe des grès du Trias en Lorraine. Rapport BRGM/RP-62405-FR, 56 p., 20 fig, 4 tabl.
Auteurs : Didier ZANY - Philippe MARTIN - Date de création : 13/08/2025 - Dernière modification : 08/10/2025




