AMOUR SACRIFICIEL

Chapitre 1

Cet homme à Paris était beau. Il avait les cheveux blonds, toujours soignés. Il avait un si beau visage et une voix si angélique que, quand il chantait, le temps gris revenait à sa douceur printanière. Son style vestimentaire était incomparable. Un style victorien, toujours d’un blanc uni immaculé, jamais taché, toujours nettoyé à la perfection. Il adorait la bonne musique des années trente, quarante et quelquefois, des années vingt comme celle de Georges Olsen, l’un de ses compositeurs préférés de ces époques ou encore Al Bowlly. Cet homme n’avait en rien l’air d’une mauvaise âme. Le matin, à huit heures, il allait quotidiennement à ce restaurant, pour boire son petit café latte toujours accompagné de sa petite part de gâteau aux pommes. En même temps, il adorait faire son jeu de mots croisés au dos du journal.

Il aimait aussi cette femme, de l’autre côté du comptoir à l’accueil. Celle qui prenait les appels et les réservations des tables. Elle était belle, avec ses cheveux noirs, bien lissés. Habillée d’une magnifique robe noire. Un visage fin, sans  trop de maquillage. Et ses yeux en amande de couleur noisette. Une belle voix. En clair, elle lui ressemblait assez en termes de points communs. Oui ! Il l’aimait !

Ce matin-là, c’était un samedi. Le 07 mai 1966. L’homme se leva de sa table pour régler une fois de plus la note. Et là, il prit son courage à deux mains et lui proposa d’aller boire un verre un de ces soirs pour pouvoir faire connaissance. La femme accepta directement avec un petit sourire vrai et proposa discrètement une date. Quelques minutes plus tard, l’addition fut réglée et une date de rendez-vous fut arrangée pour le lundi 09 mai au soir, à dix-huit heures trente après le service. Ce rendez-vous devait avoir lieu dans ce nouveau restaurant rapide, le Wimpy, jeune de presque 5 ans, première ouverture officielle, le 31 mai 1961. Il est clair que ce serait une découverte pour les deux. Ils n’y ont encore jamais été. C’était alors une première de se donner rendez-vous dans ce genre de restaurant.

Le temps passa assez rapidement, sans compter la hâte et l’excitation des deux âmes. L’heure était déjà au rendez-vous. L’homme alla chercher la femme à la fin de son service, au restaurant. A bord de sa nouvelle Renault 16 qu’il acquis deux semaines avant pour remplacer la vieille Peugeot qui appartenait à son père avant de décéder.

En vingt minutes, ils arrivèrent au restaurant rapide Wimpy dans la rue Lepic dans le dix-huitième arrondissement. Ils se garèrent de côté et de suite, l’homme sortit le premier. Pour faire preuve de galanterie et de politesse, il ouvrit la portière à la femme et l’aida à sortir. Ce fut un geste tout à fait normal pour cette époque.

Ils entrèrent alors dans le fast-food. Le restaurant n’était pas aussi rempli qu’ils l’auraient pensé. Mais justement, cela les arrangeait bien. Ils avaient faim. Il était difficile de le cacher à cause de l’indiscrétion de leurs estomacs qui criaient famine à tour de rôle. On aurait dit que leurs ventres se disputaient. Ils passèrent alors commande au comptoir. Ils commandèrent tous deux le premier hamburger qui leur semblait intéressant. Accompagné de frites et d’une boisson. L’homme prit un hamburger aux œufs avec un Coca-Cola et la femme prit un cheeseburger avec aussi un Coca-Cola. Rien d’étonnant à ce qu’ils prennent un Coca-Cola tous les deux à cette époque. Il était facile de se laisser tenter par ce goût spécial et pétillant, apprécié par le monde entier… ou presque.

Ils choisirent une table. Ils se rendirent alors compte que toutes les tables étaient soigneusement placées et nettoyées. Les deux jeunes adultes prirent une table assez près de la vitre pour avoir une vue sur la rue. Cela rajoutait peut-être un peu de charme au rendez-vous.

Ils parlaient de tout et de rien. La conversation était fluide et passait bien. L’homme parlait de son travail et de ses collègues. La femme disait qu’on pourrait presque en faire un film de comédie tant elle trouvait les mésaventures de l’homme et de ses camarades de travail drôles et ridicules parfois.

Par exemple, l’homme lui raconta que la jeune fille de l’un de ses collègues, Antoine, avait téléphoné au patron par erreur, pour demander si elle pouvait aller jouer dehors. Elle lui dit que sa maman était malade et qu’elle ne voulait pas la déranger. Croyant toujours qu’elle parlait à son père, elle continua et dit << J’ai mangé une glace pour le dessert, mais Maman le sait pas, tu diras pas hein ? >>. Le directeur fut amusé par cet appel inattendu. Il appela alors Antoine pour lui donner le téléphone et lui dit au passage que sa fille aimait décidément les glaces pour le dessert. Antoine, ne sachant pas pourquoi le boss lui disait ça, prit immédiatement le téléphone et demanda qui se trouvait de l’autre côté du fil, d’un air stressé. Il fut calmé et apaisé par la petite voix de sa jeune fille âgée de sept ans. Il lui dit << Ma chérie, je suis au travail, pourquoi as-tu appelé mon patron ? >>, sa fille répondit << Papa ! Pardon… je croyais que je t’avais appelé toi car il y avait écrit << Antoine Travail >> dans le carnet au-dessus du numéro. Je peux aller jouer dehors ? >>. Antoine soupira et répondit << Oui, tu peux aller jouer dehors, mais pas de bêtises ! Autrement, maman va bien ? >>, elle chuchota << Non… elle a bobo à la tête, elle est allée se reposer >>. Il se mit étrangement à chuchoter également << Oh ! D’accord, qu’elle se repose alors. J’irai chercher des médicaments en rentrant. Je dois aller travailler, à ce soir. >>, elle dit << A ce soir papa ! >>. Il raccrocha… et avait totalement oublié l’histoire de la glace. Il se retourna vers son patron et dit << Excusez-moi de cet incident M. MONNIER >>.

<< Cela ne pouvait donc qu’arranger sa fille. >> rajouta l’homme à la fin de sa petite histoire.

La femme fut très amusée par cette histoire. La soirée passa assez rapidement. Il était déjà dix-neuf heures trente et ils avaient fini leurs menus depuis vingt minutes.

L’homme se leva pour aller payer, mais la femme refusa et voulut payer l’addition elle-même. Je vous épargne les détails, mais ils eurent un débat de cinq minutes avant de décider de payer tous les deux pour le menu de l’autre. Cette polémique aurait très bien pu continuer s’ils n’avaient pas eu cette idée brillante en même temps. Une fois l’addition réglée, les deux tourtereaux sortirent du Wimpy et reprirent la route afin que la femme puisse rentrer à son appartement. Ils continuèrent à discuter et rigoler sans interruption tout au long du chemin.

Chapitre 2

En 10 minutes, ils arrivèrent dans le 17e arrondissement sur l’avenue de Wagram. L’homme sortit de la voiture pour ouvrir une nouvelle fois la portière à sa partenaire. La femme proposa à l’homme de rentrer à l’intérieur pour finir de discuter et boire un petit quelque chose de chaud. Pour se réchauffer de cet été bien froid. Ce dernier ne refusa pas et puis, il avait encore une petite histoire à raconter. Ils montèrent alors les marches extérieures, entrèrent, traversèrent le hall d’entrée qui était assez spacieux. Le papier peint était beau, d’un brun qui virait vers le rouge, il était à motif baroque. Les escaliers étaient soigneusement faits en bois de noyer. L’éclairage était bon, en clair, il avait été rénové récemment. Ils finirent par arriver en haut des escaliers au troisième étage, là où la femme habitait. Durant tout le chemin, de la voiture au logement, ils demeurèrent dans un petit silence pour à la fois, ne pas réveiller les personnes endormies et pour garder une ambiance intime.

Ils y arrivèrent enfin. La femme ouvrit la porte. L’homme allait presque entrer en premier quand il se poussa finalement et prononça « Les femmes d’abord ». Cette dernière se poussa et prononça à son tour « Les hommes d’abord ». L’homme fut étonné, mais par sa logique, il prononça « Les femmes d’abord tout de même, c’est vous qui m’invitez. C’est votre appartement et non chez moi, allez-y, je vous suis ». La femme répliqua alors « Mon cher, comme vous venez de si bien le dire, vous êtes mon invité, alors, les invités d’abord. Ce n’est qu’une question de principe ». L’homme fut mis à l’épreuve, il marcha de pied ferme jusque derrière la jeune femme et la poussa à l’intérieur du logement. La femme râla « Ce n’est pas juste ! Ce n’est pas du jeu ! ». L’homme s’écria « J’ai gagné ! J’ai réussi à vous faire passer avant moi ! ». Ils eurent alors un débat sur ce sujet, autour de la politesse et de l’égalité homme/femme.

Après une petite discussion quelque peu ironiquement politique, la femme se rua dans la cuisine pour faire du café pour monsieur et du thé pour elle-même. L’homme se leva et alla aider son amie dans la préparation, il demanda où se trouvaient les assiettes et en prit deux pour les tasses et des serviettes qui étaient posées sur le plan de travail de la cuisine. Ils eurent rapidement fini. Ils s’assirent sur le divan et la femme alluma la télévision. Ils regardèrent une émission assez drôle devant laquelle ils essayaient de se retenir de rire pour toujours la même raison, éviter de déranger les voisins. Et ensuite, les deux discutèrent encore un peu, de sujets un peu plus sérieux cette fois… à propos de leur vécu. Des confessions quelque peu personnelles, ils se sentaient assez en confiance.

Après un petit moment de discussion confidentielle, l’homme s’excusa tout en annonçant qu’il devait partir à cause de l’heure. Il se faisait tard et il commençait à faire froid. La femme se leva à son tour pour raccompagner son ami. Ils redescendirent alors les escaliers dans un petit silence similaire à celui du moment où ils sont arrivés. Ils arrivèrent au rez-de-chaussée et la première âme ouvrit la porte à la deuxième.

L’homme passa la porte. Il descendit les escaliers extérieurs et s’arrêta net. Il vit une silhouette de l’autre côté de la rue, faiblement éclairée par un lampadaire. On pouvait tout de même percevoir certains détails. Cette personne avait une barbe, il avait un style similaire à celui de l’homme, mais tout en noir et blanc. Il avait un chapeau, était un peu bedonnant. L’homme était terrifié par la personne qui se tenait devant lui, dans la pénombre, pour une seule et bonne raison. La personne avait un fusil de chasse en mains. L’arme était légèrement inclinée vers le haut, pointée sur la femme, qui était devant l’entrée. Elle était tétanisée, mais l’homme se précipita sur la femme pour essayer de la protéger. La personne tira, l’homme tomba aux pieds de son amie dans l’escalier extérieur, il avait réussi à arriver à temps et à protéger la femme. Oui, il l’aimait. La balle le tua sur le coup. La tête transpercée, dans un bain de sang. La femme, complètement horrifiée par la scène, se mit à crier et à pleurer devant la mort de son ami. Elle se mit à genoux devant le cadavre, demanda en hurlant au tueur << Pourquoi avez-vous fait ça ?! Qu’avons-nous fait ?? Pourquoi ? Répondez immédiatement espèce de fou ! >>. L’assassin tira une deuxième balle, qui transperça la poitrine de la femme. Avant même qu’elle ait le temps de respirer une dernière fois, le tueur à barbe tira la balle fatale. Elle s’écroula à son tour. Cette balle meurtrière transperça le cou de la dernière âme pure. Elles s’éteignirent ensembles.

Des voisins qui avaient été réveillés par les coups de feu et les cris, étaient discrètement aux fenêtres. L’un d’eux avait déjà appelé la police. Le meurtrier commença à courir, mais la police était déjà là, les sirènes se faisaient entendre de plus en plus. Il fut retrouvé et arrêté vingt minutes plus tard dans l’avenue de Niel.

Voici ce que le rapport dit sur vous, père. Vous ne pouvez plus vous défendre, j’en suis désolé. Tous les témoins racontent cette même version : << Un homme barbu vêtu d’un style victorien, tenait dans ses mains un fusil de chasse et a abattu un homme et une femme >>. La femme, Rose Morel, est toujours vivante, elle est à l’hôpital, elle souffre beaucoup, aussi mentalement que physiquement, mais semble se rétablir petit à petit. D’après les nouvelles, elle pourra bientôt passer en phase de rééducation. Mais l’homme, Marc Dubois, ne s’en est pas sorti. Votre folie aura pris le dessus sur leurs âmes. Ce que je peux détester les maladies du monde, votre folie. Depuis que mère nous a quittés. Sombrer comme vous l’avez fait, dans l’alcool… vous avez complètement perdu la tête. Vous avez été diagnostiqué en tant que fou. Et vous n’irez pas en prison mais dans un asile où vous aurez une chance de guérir et de redevenir à peu près, le père que j’ai connu et tant aimé. Je garderai bien la maison et je m’occuperai bien de Luna. Nous espérons de tout cœur vous récupérer… Tâchez de bien prendre vos traitements et d’écouter les médecins. Soyez fort, n’abandonnez pas pour peut-être un jour rentrer à la maison.

– Votre fils, Jules MONNIER et votre fille, Luna MONNIER

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1 commentaire

  1. crash a dit :

    Hâte de le lire.

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