Vaugnérite de Barançon : 3. Description
La vaugnérite a été exploitée à Barançon dans une carrière aujourd'hui comblée. Seuls des blocs d’un à plusieurs mètres cubes issus de la carrière sont encore visibles.
Le nom donné à ce faciès vient de Vaugneray, une commune du Rhône proche de Lyon, où des roches semblables ont été préalablement décrites.
Blocs de vaugnérites dans la carrière (à gauche) et en contrebas du chemin (à droite), sous le couvert forestier
La roche de la carrière de Barançon est sombre, gris bleuté, entièrement cristallisée, à structure isotrope. Elle présente tous les caractères d'une roche magmatique. Sa minéralogie est caractéristique avec ses larges paillettes de phlogopite et des aiguilles d’actinote sur un fond quartzo-feldspathique.
Echantillons de vaugnérite montrant des cristaux centimétriques de phlogopite. A gauche, échantillon brut ; à droite, échantillon poli (photo CRPG).
La composition minéralogique et la texture de la vaugnérite peuvent varier d’un échantillon à un autre (les faciès sont plus ou moins mélanocrates, plus ou moins riches en quartz, en orthoclase ou en plagioclase, plus ou moins grenus...). Les faciès les plus sombres contiennent jusqu’à 75% de phlogopite et actinote, alors que les plus clairs contiennent davantage de microcline.
Dans la carrière de Barançon la roche est composée - dans l’ordre d’abondance moyenne décroissante des minéraux principaux - de plagioclase (An 25 à An 65), phlogopite (biotite magnésienne), actinote (amphibole calcique et ferromagnésienne), microcline et quartz intergranulaire.
La vaugnérite en lame mince (photo CRPG) : à gauche en LPNA, à droite en LPA. (Q= quartz, PL = plagioclase, Ph = phlogopite, Am = amphibole)
D'un point de vue pétrographique, les associations minérales de ces roches en font des roches intermédiaires. Par le fait des grandes variations de faciès observées, ces roches grenues ont été rangées dans les syénites quartzifères, les monzonites quartzifères, les monzodiorites, voire les gabbros quartzifères. (voir Classification des roches magmatiques et mantelliques de ce site).
Classification des roches magmatiques sursaturées grenues selon Streckeisen 1974 modifié ( © JF Moyen)
La composition chimique. Le tableau ci-dessous donne les analyses chimiques de deux échantillons de vaugnérite (Hameurt - 1967). Elles révèlent des teneurs particulièrement élevées en magnésium et en potassium. Ce chimisme s'exprime par la présence de minéraux hydroxylés de type biotite (phogopite) et amphiboles. D'autes roches granitiques des Vosges présentent aussi ces teneurs élevées en MgO et K2O : le granite des Crêtes, le granite des Ballons et les granito-gneiss : on les qualifie de roches magnésio-potassiques.
1. Barançon | 2. Clefcy | |
SiO2 | 55,90 | 52,00 |
Al2O3 | 14,20 | 9,81 |
Fe2O3 | 7,84 | 8,14 |
MnO | 0,12 | 0,11 |
MgO | 9,80 | 13,00 |
CaO | 5,09 | 6,72 |
Na2O | 2,25 | 1,17 |
K2O | 2,98 | 5,05 |
TiO2 | 0,78 | 0,96 |
P.F. | 1,98 | 1,87 |
La géochimie des roches est remarquable (Couzinié et al. 2016) parce qu'elles sont à la fois riches en éléments compatibles (Fe, Mg, Ni, Cr) et riches en éléments incompatibles* (K2O, HFSE*, LREE*). Cette composition si particulière s'expliquerait par la fusion d'un manteau péridotitique (source des compatibles) à phlogopite (et/ou amphibole) qui aurait été contaminé par une fraction estimée à 10 à 20% de matériel crustal (source des incompatibles) pendant la subduction continentale, juste avant la collision, lors de l'orogénèse varisque.
* éléments incompatibles : éléments dont la charge ou le rayon rendent difficile leur intégration dans les sites cationiques des minéraux et qui de ce fait lors de la cristallisation ou de la génèse d'un magma sont concentrés dans la phase liquide de celui-ci.
* HFSE : High Field Strength Elements = éléments à forte charge
* LREE : Light Rare Earth Elements = terres rares légères (aussi à forte charge).
Le contexte géologique. Selon la carte géologique, la vaugnérite affleure en lentilles au sein de granito gneiss (on dirait aujourd'hui métatexites), autour de Plainfaing. Leur âge est Carbonifère : viséen inférieur (345-335 Ma). Elles sont contemporaines des granitoïdes magnésio-potassiques voisins, durbachite, syénites, syénogranites regroupés sous le nom de "Granite des Crêtes" (Tabaud 2012).
Extrait de la carte géologique BRGM Feuille Gérardmer situant les affleurements de vaugnérite (en vert).
Granito-gneiss en orangé ; filons de microgranite en rouge. La fléche jaune désigne l'affleurement décrit ici.
A Barançon, ces roches sont visibles le long d'un sentier au dessus de la carrière, accessible par la gauche. Elles montrent une foliation nette et des traces de fusion partielle.
Deux échantillons de métatexites (ou granito-gneiss)
Des roches équivalentes ont été décrites, avec des associations similaires, dans d'autres massifs hercyniens contemporains : dans les Monts du Lyonnais, dans les Alpes au Rochail dans le massif du Pelvoux ou encore dans le Massif de Belledonne (Banzet 1987), dans les contreforts du Massif Central (Velay et Cévennes) ( Michon 1987, Couzinié et al. 2014 et 2016, Laurent et al. 2017).
L'origine des vaugnérites est complexe et débattue. Certaines caractéristiques communes se retrouvent néanmoins des Vosges à la Corse :
- une nature magmatique indiscutable,
- un âge carbonifère,
- une association intime avec des granitoïdes magnésio-potassiques et des séries de gneiss plus ou moins migmatisés (granito-gneiss).
Le magma qui a cristallisé pour donner naissances aux vaugnérites serait donc issu d'une source mantellique (fusion partielle d'une lherzolite) mais contaminée par une fraction de matériel granulitique issu de la subduction continentale.
La mise en place de ces magmas basiques relativement chauds aurait induit ou favorisé ou accompagné la fusion anatectique d'une crôute inférieure gneissique ou granulitique déjà réchauffée par l'énergie apportée par la radioactivité des fragments de lithosphère continentale entrainés dans la subduction et sous-plaqués.
En traversant cette lithosphère épaissie, le magma magnésio-potassique aurait pu séjourner longtemps dans des chambres magmatiques intracrustales en évoluant par cristallisation fractionnée (Michon 1987) conduisant à la formation de cumulats (Gagny 1968) à phlogopite et amphiboles.
Tectonique : Comme pour l'orogenèse alpine au Tertiaire avec obduction-subduction de l'Océan Alpin puis subduction continentale et enfin collision, lors de l'orogenèse varisque, la convergence des blocs Saxothuringien (situé au NO) et Moldanubien (situé au SE) débute par un épisode de subduction océanique suivi d'une subduction continentale qui entraine un sous plaquage de lithosphère continentale. Le bloquage qui s'ensuit avec épaississement crustal important et détachement du "slab" basique qui sombre dans l'asthénosphère initie une phase active de surrection amenant à la formation de la Chaine Hercynienne.
Eléments de reconstitution de l'Histoire Varisque dans les Vosges selonTabaud 2012
CVMg-K = Magmatisme Mg-K (magnésio-potassique) des Vosges Centrales = vaugnérites et "Granite" des Crêtes, SVMG-K = Magmatisme MG-K des Vosges du Sud = Granite des Ballons et volcanisme associé, W-CVG et E-CVG = Western et Eastern Central Vosges Granites.
L' épisode de détente des contraintes a lieu au viséen. Il se traduit par la remontée d'asthénosphère chaude, par une fusion partielle du manteau qui se décomprime et par l'injection de magmas à l'origine de l'anatexie de la croûte inférieure. Les granito-gneiss, les vaugnérites et les granitoïdes magnésio-potassiques (Granite des Crêtes, Granite des Ballons...) intimement associés sont les témoins de cet épisode.
Pour certains auteurs, les remontées de magmas mantelliques basiques à des températures d'au moins 1000°C ont contribué de façon non négligeable à l’évolution thermique de la lithosphère et ont favorisé la fusion anatectique des gneiss. Des échanges de matière et/ou de fluides se sont produits entre la croûte et les remontées mantelliques. Ainsi, la composition particulière des roches magnésio-potassiques pourrait aussi avoir été en partie acquise par des processus métasomatiques sous l'influence des fluides du milieu environnant.
La présence d'actinote, en remplacement des amphiboles primaires, instables à haute pression, est le fait d'une rééquilibration des minéraux originels dans la croûte supérieure lors de la remontée isostatique.
Les auteurs tiennent à remercier Dominique Gasquet (Université de Savoie) pour son aide précieuse apportée lors de la rédaction de cette fiche.
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• Bibliographie:
- HAMEURT J., 1967, Les terrains cristallins et cristallophylliens du versant occidental des Vosges moyennes, Mémoire du service de la carte géologique d'Alsace et de Lorraine, n°26.
- STRECKEISEN A., 1974, Classification and nomenclature of plutonic rocks recommendations of the IUGS subcommission on the systematics of Igneous Rocks, Geologische Rundschau, volume 63, Issue2, pp. 773-786.
- FLUCK P., 1978, 1979, 1980, Vue nouvelle sur la géologie des Vosges moyennes d'Alsace et son apport pour l'histoire de la chaîne varisque, condensé de la thèse de M.Fluck, Bulletin de la société d'Histoire Naturelle de Colmar 57e volume.
- GAGNY C., 1979, Vaugnérite et durbachite are cumulated derived from a granitic magma: exemple of the Crête Granite, Vosges, C.R.Acad. Sci. Paris, 287, pp1361-1364.
- MICHON G., 1987, Les vaugnérites de l'Est du Massif Central Français: apport de l'analyse statistique multivariée à l'étude géochimique des éléments majeurs, B.S.Géol. France, (8), t III, n°3, pp 591-600.
- FLUCK P., PIQUE A., SCHNEIDER JL. et WHITECHURCH H., 1991, Les massifs anciens de France- II, Le socle vosgien, Sciences géologiques, Bull. 44, 3-4, page 207-page 235.
- FLUCK P., PIQUE A., SCHNEIDER JL. et WHITECHURCH H., 1994, The Vosges massif, in Pre – Mesozoîc geology in France and related areas, p416–425.- TABAUT AS., 2012, Le magmatisme des Vosges : conséquence des subductions paléozoïques (datations, pétrologie, géochimie, ASM), Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg, 231 pages.
- MACAUDIERE J., 2013, Nancy et la géologie du socle ardéchois, Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°120.
- BANZET G., 1987, Interactions croûte-manteau et genèse du plutonisme subalcalin du Haut Dauphiné occidental (massifs externes, Alpes) : vaugnérites, durbachites et granitoïdes magnésio-potassiques, Géologie Alpine (GA), 63, pp. 95-117.
- COUZINIE S et al., 2014, Temporal relationships between Mg–K mafic magmatism an catastrophic melting of the Variscan crust in the southern part of Velay Complex (Massif Central, France), Journal of Geosciences, 59, pp. 69-86.
- COUZINIE S. et al., 2016, Post-collisional magmatism: Crustal growth not identified by zircon Hf–O isotopes, Earth and Planetary Science Letters, Volume 456, pp. 182-195.
- LAURENT O. et al., 2017, Protracted, coeval crust and mantle melting during Variscan late-orogenic evolution: U-Pb dating in the eastern French Massif Central, Int. J. of Earth Sci. (Geol Rundchau) Received: 29 January 2016 / Accepted: 7 December 2016, in press.
- Carte géologique de la France à 1/50000. BRGM Feuille Gérardmer, 1979
- Parc naturel régional des ballons des Vosges, 2007, La géologie du massif vosgien et du fossé rhénan.
Auteurs : Roger CHALOT - Philippe MARTIN - Date de création : 25/01/2017 - Dernière modification : 06/07/2017