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L'écaille du Treh : 3. Description

Remerciements

Les auteurs tiennent particulièrement à remercier Etienne Skrzypek pour le temps précieux, l'attention et le soutien qu'il leur a consacré lors de la rédaction de cette fiche. Sa relecture approfondie, sa grande connaissance du terrain et ses précieux conseils de spécialiste des sutures et du magmatisme des Vosges ont ainsi permis de grandement améliorer cet essai de synthèse.

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Le site du Treh illustre le chevauchement de la série sédimentaire du Markstein, avec à sa base des schistes dévoniens, sur la série d'Oderen. Une écaille tectonique contenant des gneiss migmatitiques et des péridotites serpentinisées est pincée entre les deux séries sédimentaires.
Toutefois la distinction délicate des deux séries sédimentaires conduit à une interprétation récente quelque peu différente qui sera évoquée plus loin.

Les affleurements

Dans les talus en bordure de la route D27 (fig.1), aux environs du site de parapente, affleurent les roches sédimentaires et volcano-sédimentaires de la série du Markstein, d’âge viséen (Carbonifère inférieur). Ce sont des schistes noirs et grauwackes montrant une sédimentation rythmique (de type turbidites selon Gagny, 1962). Un microgranite s'intercale au sein des couches, de direction sub-parallèle à la stratification.

La série est redressée et les strates présentent tantôt un pendage vers le NE, tantôt vers le SO, avec quelques ondulations locales (fig.2). Les axes des charnières, proches de l'horizontale ont une orientation N140-150, sensiblement parallèle à la limite entre les deux séries. Cette structuration est le résultat d'une compression de direction approximativement nord-sud.

formation Markstein
litage dans les schistes et grauwackes plis dans les schistes

Fig. 2 :  Affleurements de schistes et grauwackes de la série du Markstein. En haut, talus en bordure de la D27 : vue générale et ondulations des strates. En bas,autres sites : litage dans les sédiments et plis (photo © E.Skrzypek)

En contrebas de la route, affleurent successivement de l'est (ferme-auberge) vers l'ouest (voir la fig.10 où sont localisés les affleurements à visiter) :

  • aux abords de la ferme, de gros blocs de gneiss plus ou moins migmatitiques (fig.3). Certains présentent une foliation nette, parfois déformée (fig.4), dans d'autres, des fragments de gneiss folié semblent flotter dans une matrice cristalline claire. Cela montre que cette roche a subi une fusion partielle.

affleurement de gneiss

Fig. 3 : Affleurements de gneiss au dessus du parking de la ferme-auberge du Treh.

Fig. 4 : Gneiss déformé et migmatisé au niveau du parking de la ferme-auberge du Treh

  • près du captage d'eau de la ferme, 10m au dessus du chemin, des péridotites serpentinisées altérées en place (fig.5). On peut aussi en trouver en pierres volantes ici et là.
Des ophicalcites (fig.6) ont également été observées dans ce secteur. Il s'agit de brêches composées de fragments de péridotites parcourues par un entrelac de veines de calcite. Ces roches se forment le long de fractures.
Les visiteurs voudront bien éviter tout prélèvement afin de préserver le site.

Fig. 5 : Péridotites serpentinées près de la ferme-auberge du Treh

surface polie d'un échantillon d'ophicalcite

Fig 6 : Echantillon d'ophicalcite : surface polie. (photo © E.Skrzypek)

   • dans le talus du chemin et au dessus dans le champ (juste avant le chemin qui mène au chalet des Amis de la Nature), des schistes rouges et des schistes verts finement rubanés (fig.7), dans lesquels des couches riches en quartz alternent avec des couches riches en argile. Ils contiennent des Chitinozoaires (Doubinger et Ruhland, 1963), micro-organismes d’origine incertaine, et des Conodontes (Maas et Stoppel,1982), dents de vertébrés marins, qui ont permis de dater ces schistes du Dévonien supérieur (Faménnien). Stratigraphiquement, et topographiquement, ils sont à la base de la série du Markstein. Le contact entre les deux n’est pas visible sur le terrain, mais selon la carte géologique (Munster n°377), il s’agirait d’un contact tectonique.
Remarque : Les observations faites dans d'autres klippes laissent penser que ces sédiments dévoniens sont plutôt associés aux péridotites, qu'à la série sédimentaire du Markstein.

Fig. 7 : Schistes dévoniens dans le talus de la route menant à le ferme-auberge du Treh

  • quelques mètres plus loin, au bord du chemin, un filon de microgranite (fig.8), d'un mètre de large, orienté environ N120 (direction subparallèle à celle des strates), donc oblique par rapport au chemin. La roche est composée de phénocristaux de feldpaths, quartz, biotite chloritisée et amphibole dans une pâte microcristalline.

Ce filon peut se suivre dans le champ au dessus jusqu'à une excavation, autour d'un abri pour le bétail, où il atteint une largeur d'une dizaine de mètres. A cet endroit, on observe une arène qui s'est développée par altération de ce microgranite.


Fig. 8 : Microgranite en filon

  • au-dessous du chemin et en bordure de celui-ci vers le sud-ouest, au delà d'un petit parking privé, des schistes noirs et grauwackes appartenant à la série d’Oderen, selon la carte géologique (fig.13) . Ils ont été datés du Viséen inférieur à partir de fossiles de plantes flottées (Mathieu, 1949 - Mattauer et Théobald, 1957 - Corsin et al. 1956, 1957, 1959 et 1973) et de leur faune de Brachiopodes (Mattauer, 1959). Cette série a aussi une disposition rythmique et peut en outre contenir des tufs volcaniques. Des plis sont observables dans ces roches (fig.9).

Remarque : Selon des travaux récents (E.Skrzypek et al., 2011), aux  alentours de la klippe, la distinction est délicate entre série du Markstein et série d'Oderen. Cette dernière se distingue par un grain plus grossier, la présence de fossiles de plantes et par des passées volcaniques. Rien de cela n'a été clairement observé sur le site du Treh. Ainsi, la limite entre les deux séries passerait plus au sud, et l'écaille du Treh serait incluse ici dans la série du Markstein (cf coupe fig.15 )

Fig. 9 : Plis dans les Schistes Noirs de la série d'Oderen au sud de la klippe

Un vue panoramique de localisation des affleurements et limites de la klippe résume les observations réalisées autour de la ferme auberge:

les 3 ensembles

Fig. 10 : Vue générale du secteur (vers le sud est) et localisation des affleurements

En lettres blanches les affeurements (Gn = gneiss : cf. fig.3-4  ; P = péridotite: cf. fig.5 ; ScR et ScV = schistes rouges et schistes verts du Dévonien - cf. fig.7), en jaune les grands ensembles. Les traits pointillés jaunes correspondent aux limites très approximatives (= contacts anormaux) entre les 3 ensembles ; le trait pointillé orange correspond à la limite approximative du toit du Dévonien.
Remarque : Les affleurements attribués à la série d'Oderen selon la carte géologique (fig.13), pourraient appartenir à la base de la série du Markstein selon Skrzypeck et al.(2011) (fig.15).

 

Reconstitution géodynamique  

L'écaille du Treh s'intègre dans la géologie des Vosges méridionales ou du Sud, une des deux unités structurales hercyniennes dorénavant reconnues du Massif Vosgien qui comprend également les Vosges du Nord (fig.10).

Nota. Classiquement, trois unités structurales hercyniennes sont reconnues dans le Massif Vosgien : les Vosges du Nord, les Vosges centrales ou moyennes, les Vosges du Sud ou méridionales. Ce découpage en trois unités est remis en question dans des publications récentes (Skrzypeck 2011, Tabaud 2012) : Vosges moyennes et méridionales sont regroupées en un seul ensemble, celui des Vosges du Sud.

Fig.11 : Cartes géologiques du Massif des Vosges, des Vosges méridionales (d'après Tabaud, 2012) et de l'écaille du Treh (d'après Skrzypek, 2011, modifié)

Les écailles tectoniques, constituant "la Ligne des Klippes", sont connues et cartographiées depuis longtemps. Des travaux récents ont précisé leur âge, leur nature et leur origine.

 ♦ Dès 1928 Jung reconnait l'existence de klippes dans le secteur (fig.12) :

" La série allochtone des klippes : l'existence dans la haute vallée de la Thur, aux environs de Wesserling, d'une importante surface de contact anormal est montrée par l'intercalation de lentilles étirées de roches cristallines dans le Dinantien à faciès du Culm ".

Fig. 12 : Coupe de l'écaille ou klippe de Treh par Jung (dans "Contribution à la géologie des Vosges hercyniennes d’Alsace") - Correspondance de la légende avec les termes utilisés dans la présente description : Gneiss = gneiss migmatitiques  - Roches vertes = péridotites serpentinisées - Grauwacke schisteuse noire = schistes noirs, grauwackes et tufs de la série d'Oderen - Grauwacke à ovoïdes, schistes = schistes et grauwackes de la série du Markstein - Schistes rouges = Schistes rouges et verts du Dévonien (base de la série du Markstein).

  ♦ Les klippes sont cartographiées (fig.13) sur la carte au 1:50000 du BRGM feuille Munster (1976) :

extrait de carte

Fig.13 : Extrait de la carte géologique (BRGM ; feuille Munster 1:50000). K = klippe

D’après la cartographie et l’analyse tectonique, la série du Markstein (au nord) chevauche celle d’Oderen (au sud). La ligne de chevauchement est soulignée par une série de klippes, allant du Grand Ballon au sud-est à Kruth au nord-ouest. Elle est ensuite décalée par un grande faille nord-sud et reprend vers l’ouest à partir d’Oderen. Les gneiss et péridotites (harzburgites serpentinisées) situés sur cette ligne sont des écailles tectoniques d’origine profonde, arrachées au substratum anté-viséen lors du chevauchement.

 ♦ L'origine tectonique de ces ensembles de gneiss et péridotites a été contestée par Fluck (1987) pour qui ils représentent des olistolithes reposant sur une matrice de grauwackes. Les olistolithes sont des blocs glissés (par gravité), emballés dans le sédiment en cours de dépôt et se retrouvant ici au front d'une nappe de charriage,
Cependant, des études structurales ont révélé des traces de cisaillement dans les sédiments encaissants, en accord avec la thèse du chevauchement.

 ♦ Selon les publications récentes (Belka & Narkiewicz, 2008, Skzrypek et al., 2011,2014 et Tabaud, 2012), une nouvelle interprétation de la ligne des klippes (fig.14) a fait jour :

Les gneiss appartiennent à la croûte continentale profonde qui formait le substratum des séries sédimentaires. Les schistes du Dévonien supérieur sont les témoins d’une sédimentation marine argileuse dans un bassin profond. Les schistes et grauwackes du Viséen (Carbonifère inf.) dont les épaisseurs atteignent au moins le millier de mètres correspondent à des turbidites, déposées dans un bassin marin en bordure d’une chaîne en surrection. Celle-ci, soumise à l’érosion alimentait le bassin en sédiments détritiques. L’activité volcanique, plus importante vers le sud, ajoutait ses produits à ces accumulations sédimentaires.

Les études pétrographiques et géochimiques faites sur les serpentinites et les gabbros de l’ensemble des klippes et les corrélations avec d’autres massifs varisques conduisent à penser que ce bassin qui a existé au Dévonien supérieur – Carbonifère intérieur était un bassin d’arrière-arc, apparu en arrière d’une zone de subduction. Le fond de ce bassin correspondait à une croûte continentale de nature gneissique, étirée, fragmentée, et où le manteau lithosphérique a été exhumé par endroits. Les péridotites mantelliques serpentinisés du Treh peuvent donc être considérées comme une relique ophiolitique, témoin de l'expansion d'un fond océanique d'un ancien bassin d'arrière-arc.

Une zone de lithosphère continentale aurait pu séparer ce bassin en 2 parties. En effet, si on trouve globalement le même type de sédimentation de type turbitide sur tout le bassin, la partie sud renferme davantage d'éléments volcaniques (tufs), ce qui témoignerait, d'une part, d'une activité volcanique sur le bord sud du bassin, et d'autre part, d'une séparation topographique des deux parties.

Les plissements des sédiments viséens et l’existence d’une schistosité traduisent un raccourcissement de la zone, qui commence dès le Viséen inférieur (début du Carbonifère) et conduit à la fermeture du bassin d'arrière-arc. A un stade plus avancé, il se produit un décollement de ces roches sédimentaires de leur socle, et le charriage de la série du Markstein vers le sud.

Gneiss et serpentinite sont des lambeaux du substratum du bassin sédimentaire entraînés lors du chevauchement.

Dans le même temps, des plutons granitiques se sont mis en place. Les filons de microgranite observés représentent les injections de ce magma granitique le long de discontinuités (plans de stratification, pourtour des klippes, zones de chevauchement) présentes au sein des séries sédimentaires sus-jacentes.

Fig. 14 : Reconstitution de la paléogéographie possible de l'Europe de l'Ouest au Dévonien supérieur (d'après Skzrypek et al., 2011)

coupe NS selon Skrzypek

Fig. 15 : Coupe interprétative passant par Le Treh, selon Skzrypek et al. (2011).
En gris clair, la série du Markstein, allochtone, en gris moyen, la série d'Oderen, autochtone. Les points rouges représentent le métamorphisme de contact dû aux intrusions granitiques.
Cette coupe fait apparaître que la ligne des klippes constitue une structure en duplex, c’est-à-dire un chevauchement dupliquant la base de la série du Markstein.

 

Une reconstitution géodynamique plus détaillée est donnée dans la fiche Ophiolite du Thalhorn. 

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Bibliographie

Belka Z. et Narkiewicz M. (2008) - Devonian - in McCann T. ed. - The Geology of Central Europe - Volume 1: Precambrian and Palaezoic. Geological Society, London, pp. 383-410.

Corsin P., Gagny Cl. et Mattauer M., 1956. Découverte d’une florure d’âge visén dans les schistes et grauwackes des environs de Fellering (Haut-Rhin). Comptes Rendus de l’Academie des Sciences, 242, pp. 1908-1909.

Corsin P. et Mattauer M. (1957) - Quelques nouveaux gisements fossilifères du Massif des Ballons (Vosges Méridionales). Comptes rendus sommaires de la Sociéte Géologique de France, 5, pp. 92-94.

Corsin P. et Ruhland M. (1959) - Les gisements à plantes du Viséen dans les Vosges Méridionales. Comptes Rendus de l'Académie des Sciences, 248, pp. 2145-2149.

Corsin P., Coulon M., Fourquin CI., Paicheler J.C et Point R. (1973) - Étude de la flore de la série de Giromagny (Viséen supérieur des Vosges méridionales). Comparaison avec les autres flores du Culm des Vosges. Sci. géol., Bull. 26, I, pp. 43-68, 7 pi. h.-t., Strasbourg.

Doubinger J. et Ruhland M. (1963) - Découverte d'une faune de Chitinozoaires d'âge Dévonien au Treh (Région du Markstein, Vosges Méridionales). Comptes Rendus de l'Académie des Sciences, 256, pp. 2894-2896.

Fluck P. (1987) - Apports de la ‘‘microcartographie’’ à divers points cles de la géologie du socle vosgien. In: Colloque des Géologues et Géophysiciens du Socle Vosgien, Strasbourg, 7–11 October 1987, pp. 11–14.

Gagny Cl. (1962) - Caractères sédimentologiques et pétrographiques des schistes et grauwackes du Culm dans les Vosges Méridionales, Bulletin du Service Géologique de la Carte d'Alsace-Lorraine, 15, pp. 139-160.

Jung J. (1928) - Contribution à la géologie des Vosges hercyniennes d'Alsace, Mémoires du Service de la Carte géologique d'Alsace-Lorraine, 2, 463 pages.

Maass R. et Stoppel D. (1982) - Nachweiss von Oberdevon bei Markstein (Bl. Munster, Südvogesen). Zeitschrift der Deutschen Geologischen Gesellschaft, 133, pp. 403-408.

Mathieu G. (1949) - Observations paléontologiques et hydrogéologiques à Bussang (Vosges). C.R. somm. Soc. géol. France, n° 14, pp. 324-326.

Mattauer M. (1959) - Découverte d'une faune viséenne près de Rimbach (Vosges méridionales). C.R. Acad. Sci., Paris, t. 248, n° 3, page 433.

Mattauer M. et Théobald N. (1957) - Présence de Lepidostrobus browni (Unger) Schimper, dans le Dinantien de la Haute-Vallée de la Thur. Bull. Serv. Carte géol. Als. Lorr., t. 10, fasc. 2, pp. 133-142.

Skrzypek E. et al. (2011) - The significance of Late devonian ophiolite in the Variscan orogen: a record from the Vosges Klippen Belt, Int. J. Earth Sci. (Geol Rundsch), original paper, 22 pages.

Skrzypek E. et al. (2014) - Palaeozoic evolution of the Variscan Vosges Mountains. Geological Society, London, Special Publications, 405, pp. 45–75.

Tabaud A.S. (2012) - Le magmatisme des Vosges : Conséquence des subductions paléozoïques (datation, pétrologie, géochimie, ASM). Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg, EOST, 231 pages.

Notice de la carte géologique au 1:50000 BRGM (1976) Munster n°377, 72 pages.


Auteurs : Roger CHALOT - Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 28/10/2013 - Dernière modification : 13/09/2023

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