Quartzites de Sierck : 3. Description
Description des affleurements et pétrographie
L'ancienne carrière présente un front de taille, d'une dizaine de mètres de haut, qui se laisse progressivement envahir par la végétation au fil des ans. La couleur lie-de-vin caractéristique de la patine de la roche tranche avec le vert des feuillages en été.
Bien qu'il s'agisse de roches métamorphiques, la stratification d'origine est nettement visible et reconnaissable. Les bancs de quartzites d'épaisseur métrique sont inclinés : la valeur du pendage est d'environ 25° et sa direction, S-SE (fig.2). Dans la région de Sierck, les affleurements de quartzites peuvent atteindre 50 mètres de puissance.
Fig.2 : Ancien front de taille de la carrière de quartzite (juin 2021) - survoler l'image pour faire apparaître les légendes
Des veines blanches de quartz et un réseau dense de diaclases recoupent la stratification. Associées à ces fissures, les minéralisations siliceuses secondaires ne sont pas rares comme en témoignent, par endroits, les surfaces recouvertes de jolis cristaux prismatiques de quartz (fig.3).
Fig.3 : Veine et cristaux de quartz
Au pied du front de taille, les accumulations d'éboulis permettent un échantillonnage facile : il s'agit une roche très dure à briser dont la cassure fraîche révèle un matériau de couleur grise, entièrement (re-)cristallisée, formé de grains de quartz (rayant le verre) soudés, caractérisant la texture granoblastique, observable en lame mince au microscope (fig.4). Le protolithe de cette roche correspondrait à une roche sédimentaire détritique de type grès. La couleur brun-rouge de la patine est due à la présence d'hématite (oxyde de fer ferrique) altérée.
Fig.4 : Échantillon pétrographique de quartzite (cliché © BRGM) - cliquer sur l'image pour voir une lame mince de quartzite en LPA
Au-dessus des éboulis, une plate-forme offre un accès direct au contact du front de taille et à une surface structurale (fig.2) ; il reste néanmoins dangereux de s'approcher des parois verticales en raison du risque de chute de pierres.
Un examen des bancs quartzitiques révèle l'occurrence de figures sédimentaires bien préservées : litages horizontaux et obliques, stratifications entrecroisées, clinoformes (structures progradantes), remplissage de chenaux (fig.5). Ces structures indiquent des dépôts sédimentaires mis en place sous l'influence de courants. Ces conditions de sédimentation et la nature détritique des apports peuvent correspondre à un environnement de dépôt de type deltaïque ou marin proximal (subissant l'action des courants de marées).
Fig.5 : Figures sédimentaires préservées dans les quartzites de Sierck - survoler l'image pour faire apparaître les légendes
Entre les strates de quartzites, sont généralement intercalés des niveaux d'épaisseur décimétrique, plus tendres, de couleur verdâtre, à débit en feuillets (= schistosité parallèle à la stratification), et composés de fines particules de quartz (rayure sur le verre) et de minuscules micas blancs (muscovite et/ou séricite) miroitant au soleil (la biotite semble absente) ; ces derniers étant disposés à plat dans le plan de stratification conférent un aspect nacré à la roche (fig.6). Vu par la tranche, un échantillon observé à la loupe présente une alternance de fins feuillets micacés alternant avec des lits plus riches en quartz (= début de foliation ?). D'origine détritique, ces roches gréseuses riches en micas sont parfois désignées sous le terme de "psammite" par les auteurs [1]. Si on considère l'organisation des minéraux dans la roche et les micas blancs comme étant d'origine métamorphique, cette roche peut être qualifiée de schiste sériciteux. Quartzites et schistes micacés traduisent un faible degré de métamorphisme régional (épizone en contexte de collision).
Fig.6 : Banc de "psammite" (cliquer sur l'image pour voir un échantillon)
Cadre géologique et structural régional
La situation géologique de Sierck-les-Bains s'inscrit dans le prolongement méridional de la structure anticlinale des terrains paléozoïques du Hunsrück (fig.7). Couplée à l'incision topographique par les cours d'eau, cette position géostructurale a rendu favorable l'affleurement de terrains anciens déformés et érodés, issus du socle varisque de la région et auquel appartiennent les Quartzites de Sierck (fig.8).
Fig.7 : Extrait de la carte géologique de la France à 1:1 000 000 (© InfoTerre - BRGM) et cadre géostructural des Quartzites de Sierck
Les Quartzites et Schistes de Sierck ne livrent pas de fossiles mais le faciès a permis de rattacher cet ensemble à la formation des Quartzites du Taunus (= "Taunusquartzit") plus largement répandue sur la bordure méridionale des massifs de l'Hunsrück et du Taunus en Allemagne. Grâce aux faunes de brachiopodes, cette formation a pu être datée du Siegenien ou Praguien (moy.-sup.) correspondant au deuxième étage du Dévonien inférieur (410,8 ± 2,8 à 407,6 ± 2,6 Ma) [2],[3].
Sur ces formations métamorphiques d'âge paléozoïque supérieur reposent, en discordance angulaire, les terrains de la couverture sédimentaire mésozoïque appartenant aux auréoles orientales du Bassin Parisien (fig.7 et 8).
Comparativement aux niveaux équivalents ailleurs dans la région, l'épaisseur réduite des premiers ensembles triasiques du Buntsandstein autour de Sierck (grès rouges - fig.8) s'expliquerait par la paléotopographie post-varisque locale, limitant l'aggradation des dépôts : les Quartzites de Sierck formaient à l'époque, un paléorelief de type inselberg, sur lequel progradaient les dépôts sédimentaires, au fur et à mesure que celui-ci s'érodait [1].
Fig.8 : Coupe géologique schématique et log stratigraphique simplifié
(a) Sieg. = Siegenien - Dévonien Inférieur, (b) Bunt. = Buntsandstein - Trias "Germanique" Inférieur, (c) Musc. I = Muschelkalk Inférieur - Trias "Germanique" Moyen, (d) Musc. M = Muschelkalk Moyen - Trias "Germanique" Moyen, (e) Musc. S = Muschelkalk Supérieur - Trias "Germanique" Moyen.
Traduit du Luxembourgeois et modifié d'après © Lehrpfad Naturschutzgebiet "Strombierg" 2006 [4]
Paléoenvironnements et contexte paléogéographique
La formation des protolithes gréso-pélitiques des Quartzites de Sierck s'opère dans une paléogéographie héritée de l'Orogenèse Calédonienne (fig.9) qui aboutit, à la fin du Paléozoïque inférieur et au début du Dévonien, à la formation du bloc continental Laurussia ou Continent des Vieux Grès Rouges (réunion des ensembles continentaux Baltica, Laurentia et Avalonia). Au sud de ce continent, l'Océan Rhéique qui séparait les masses continentales Laurussia et Gondawana achève sa fermeture. À l'issue de celle-ci, la microplaque Armorica entrera en collision avec la Laurussia lors de l'Orogenèse Varisque (Carbonifère).
Fig.9 : Paléogéographie de l'Europe au Dévonien (fond de carte Deep Time Maps™ © Colorado Plateau Geosystems, Inc.)
Les Quartzites du Taunus (et de Sierck) font partie des formations géologiques du Massif Rhénan qui englobe le Hunsrück et le Taunus dans sa partie orientale et méridionale. Au Dévonien inférieur, le Massif Rhénan se situe au sud et sur la marge passive du Continent des Vieux Grès Rouges et de l'Avalonia. À cet emplacement, une dépression, née du jeu de failles et de blocs basculés dans un contexte distensif post-orogénique, constitue le Bassin rhéno-hercynien (fig.10), un bassin intracontinental, large de 200 à 300 km, recevant les produits issus de l'érosion des reliefs calédoniens alentours (Avalonia au nord et Promontoire Médio-Germanique au sud). Dans ce contexte tectonique, une subsidence active et des apports continus ont permis une accumulation conséquente de dépôts sédimentaires dont la puissance peut atteindre 7 km au centre du bassin (jusqu'à 1 000 mètres pour la formation des Quartzites du Taunus). Sierck-les-Bains devait se situer à l'extrémité occidentale de ce bassin (fig.9). Durant le Dévonien supérieur, le contexte tectonique extensif de cette région se poursuivra par une phase de rifting continental et la genèse de croîute océanique, entraînant la naissance d'un océan éphémère, l'Océan Rhéno-hercynien.[5] et [6]
Fig.10 : Coupe de la lithosphère montrant le contexte tectonique de mise en place du Bassin Rhéno-hercynien au début du Dévonien (d'après Stets et Schäfer, 2011) [5]
En fonction de la proximité ou de la fluctuation des sources des apports détritiques, des conséquences des mouvements tectoniques locaux ou des variations eustatiques du niveau marin, un large spectre de paléoenvironnements, allant de milieux deltaïques à marins ouverts, alternent ou se succèdent dans le temps et l'espace.
Concernant les conditions de formation des Quartzites du Taunus, les structures sédimentaires (litages obliques, stratifications entrecroisées...) et la nature des particules détritiques, observées dans le Massif Rhénan, plaident en faveur de dépôts alimentés par des apports issus de l'érosion du Promontoire Médio-Germanique et se réalisant dans un environnement marin peu profond, soumis à un hydrodynamisme élevé et à l'action des marées (zone intertidale à subtidale peu profonde). Dans la région de Sierck, située plus à l'ouest, les conditions de formation des quartzites dévoniens sont vraisemblablement à rapprocher de celles décrites ici.
Les déformations et le métamorphisme qui affectent la série du Dévonien inférieur de la zone rhéno-hercynienne sont à mettre en relation avec les mouvements orogéniques varisques, débutant à la fin du Dévonien et se poursuivant durant le Carbonifère [7] : raccourcissement et collision précédée de la fermeture, par subduction, des océans séparant les blocs continentaux Laurussia, Armorica et Gondawana - cf. fig.9).
Les quartzites de Sierck appartiennent à la bordure sud de la zone rhéno-hercynienne (Massif schisteux rhénan, Ardennes). Cette dernière est constituée d’un empilement d’unités chevauchantes (écailles de croûte supérieure et de couverture plissée) qui sont le résultat de la subduction-collision à l’avant de la plaque plongeante (fig.11).
Fig.11 : Coupe géologique[8] NW-SE à travers la zone rhénohercynienne (d’après Oncken et al., 1999). Les structures en anticlinoriums et synclinoriums se calquent sur d’anciens domaines sédimentaires (en marron clair, les formations appartenant au Siegenien). Avec l’éloignement de l’axe de la chaine varisque, les déformations deviennent plus superficielles et n’affectent plus que les niveaux supérieurs (couverture). A noter au sud-est, la position du bassin houiller sarro-lorrain adossé à la faille de Metz-Hunsrück (F) et à la zone phyllitique nord (Zpn).
La tectonique a créé les conditions d’un métamorphisme débutant qui se situe dans l’épizone (pumpellyite-actinolite-chlorite-quartz). Il est accompagné du clivage ardoisier au sein des schistes et de circulations de fluides au niveau des failles. Cette architecture a été perturbée dès le Carbonifère par la formation du bassin houiller sarro-lorrain.
Historique et utilsation de la ressource (d'après l'article d'A. Gamps, 2008 en bibliographie)[9]
150 ans durant, les quartzites de Sierck ont fait l'objet d'une exploitation en carrière (fig.12), sur différents sites autour de Sierck, avant que ne s'arrête, définitivement, l'activité vers la fin des années 1960.
Fig.12a : Carte postale ancienne montrant la carrière de Rustroff (cf. fig.1 § Localisation) de la route d'Apach
Fig.12b : Carte postale ancienne de Sierck avec, au premier plan à droite, l'ancienne carrière (cf. fig.2) de la route de Montenach
D'une dureté et d'une résistance exceptionnelle, le Quartzite de Sierck est utilisé dès la Préhistoire (Paléolithique inférieur) notamment pour la confection de bifaces.
Malgré ses piètres qualités comme pierre de taille (difficile à équarrir, froid et peu isolant...), le quartzite est localement exploité comme matériau de construction (fig.13). Dans la ville de Sierck, le bâti ancien et historique (Château des Ducs de Lorraine, église, enceintes de la cité...) révèle l'omniprésence de la roche brune, aux côtés de matériaux plus divers (Pierre de Jaumont, Dolomie du Stromberg, Grès vosgien...).
Fig.13 : Mur en moellons de quartzite dans une rue de Sierck-les-bains
À partir du XVIIIème siècle, afin de lutter contre l'insalubrité, les villes se devaient de paver leurs rues. Cette évolution urbaine est à l'origine d'un nouvel usage du Quartzite de Sierck qui débute et s'intensifie à partir du XIXème siècle. Réputé inusable et résistant au gel, le quartzite de Sierck devient un matériau recherché dans toute la région pour la construction ou le renouvellement du pavage des chaussées des grandes villes (Metz, Thionville, Hayange, Pont-à-Mousson, Nancy, Toul...). Il supplante progressivement le pavé de Grès d'Hettange jusqu'à lors privilégié. Certaines rues historiques des villes de la région conservent aujourd'hui encore quelques pavés en Quartzite de Sierck (fig.14).
Fig.14 : Quelques pavés de quartzite de Sierck observés dans une rue piétonne de Nancy (Vieille Ville - Palais ducal)
Au tout début du XXème siècle, malgré l'évolution du revêtement des chaussées délaissant le pavage, l'utilisation du quartzite de Sierck perdure encore un temps mais sous forme de concassés, servant à l'empierrement des routes ou des lignes ferroviaires.
L'arrêt de l'exploitation de la dernière carrière de Sierck, en 1967, fait suite aux nuisances causées aux riverains et aux touristes : bruit, poussière, tirs de mines et projections devenant de plus en plus fréquents...
Aujourd'hui, les anciennes carrières de quartzite constituent la composante singulière de biotopes à l'origine d'écosystèmes particuliers. Ces sites bénéficient parfois d'une protection réglementaire (site Natura 2000 des Pelouses et Rochers du Pays de Sierck).
Bibliographie
(1) Hilly J. et Haguenauer B. (1979) - Guide géologique régional - Lorraine-Champagne - Masson éd., 215 pages.
(2) Jansen U. (2016) - Brachiopod faunas, facies and biostratigraphy of the Pridolian to lower Eifelian succession in the Rhenish Massif (Rheinisches Schiefergebirge, Germany). In: Becker R.T., Königshof P. & Brett C.E. (Eds) - Devonian Climate, Sea Level and Evolutionary Events. Geol. Soc. London Spec. Publ., 423 ; pp. 45-122.
(3) Jansen U. (2019) - Pragian-Emsian brachiopods from the Rhenish Massif (Germany): new data on evolution and biostratigraphy. Riv. It. Paleont. Strat., 125(3) ; pp. 735-759.
(4) Lehrpfad Naturschutzgebiet « Strombierg » (2006), Ed. Direction des Eaux et Forêts, Service de l’Aménagement des Bois, 16, rue Eugène Ruppert L - 2453 Luxembourg, 78 pages. https://environnement.public.lu/dam-assets/fr/forets/publications/Strombierg_all/Strombierg-brochure-D.pdf
(5) Stets J. & Schäfer A. (2011) - The Lower Devonian Rhenohercynian Rift – 20 Ma of sedimentation and tectonics (Rhenish Massif, W-Germany). [Das unterdevonische Rhenoherzynische Rift – 20 Ma Sedimentation und Tektonik (Rheinisches Schiefergebirge, Westdeutschland).] – Z. dt. Ges. Geowiss., Stuttgart, 162, pp. 93–115.
(6) Belka Z. et Narkiewicz M. (2008) - Devonian. In : McCann T. (éd.) - The Geology of Central Europe. Volume 1 : Precambrian and Paleozoic. Geological Society, London, pp. 383-410.
(7) McCann T. éd. (2008) - The Geology of Central Europe. Volume 1 : Precambrian and Paleozoic. Geological Society, London, 748 pages.
(8) Bär K. M. (2012) - Untersuchung der tiefengeothermischen Potenziale von Hessen. Ph.D. Thesis, Technische Universität Darmstadt, 328 pages.
(9) Gamps A. (2008) - Le quartzite de Sierck à travers les âges. Les Cahiers Lorrains, N. 3-4, pp. 06-15 : lien de consultation.