Eaux minérales de Vittel (88) : 3. Description
1) Le gisement d'eaux minérales :
Vittel fait partie de la quinzaine de stations thermales sur lesquelles a pu compter le Grand-Est au cours de son histoire (8 stations sont reconnues actuellement)(fig.7). Ces stations se répartissent de part et d'autre du Massif vosgien, de la bordure orientale du Bassin Parisien à la Forêt Noire outre-Rhin (fig.1).
Le gisement d'eaux minérales de Vittel est voisin de ceux de Contrexéville (voir eaux minérales de Contrexéville) et Martigny les bains (Voir eaux minérales de Martigny-les-Bains).
Fig. 7 : Carte géologique de l'Est de la France avec la localisation des principales stations thermales (extrait de la carte géologique de la France à 1/500 000 © BRGM) (© D. Zany)
Il est connu depuis au moins l'époque romaine, un petit temple, une colonnade et un hypocauste (système de chauffage par le sol utilisé à l'époque romaine et gallo-romaine) attestent de la présence d'un ancien établissement thermal dès cette époque (3).
Le patronyme Vittel est, dans l'histoire locale, rattaché au nom du général romain (puis empereur au règne éphèmère de 8 mois en 69 après JC) Vitellius qui serait venu y soigner sa goutte.
Les eaux de Vittel (Hépar et Grande Source) ont été reconnues d'intérêt public dès 1903, conférant à la cité thermale une notoriété qui ne s'est plus jamais démentie.
Les principaux "Gîtes" ou "sources" (fig.8) connus à Vittel sont donc (2)(4a et b)(5)(6) :
- Les sources Hépar et Essar (Gîte A = eaux sulfatées calciques et magnésiennes), captées et exploitées principalement au Nord de la Faille de Vittel dans les Marnes Bariolées du Keuper Inférieur ou Lettenkohle t6 (série de Marnes et Argiles à passées dolomitiques ou Dolomies et Marnes bariolées à passées gypseuses), et la Dolomie dite "de Vittel" t5c du Muschelkalk Supérieur. L'aquifère se situe entre 10 et 23 m de profondeur (4a).
- La source "Grande source" (et les sources apparentées = Gîte B = eaux bicarbonatées calciques et magnésiennes) est captée et exploitée au Sud de la Faille de Vittel dans un aquifère superficiel complexe à plusieurs couches, dont les Calcaires à Entroques t5a , les Couches Blanches Dolomitiques, et la masse supérieure des Couches Grises t4b (Marnes schisteuses à passées de gypse et d'anhydrite) du Muschelkalk Moyen et Supérieur.
- La source Gérémoy (faciès mixte bicarbonaté et sulfaté calcique) qui a été la première à être exploitée en 1855.
- La source Norroy et le forage "Bonne source" (6) (Gîte C = faciès chloruré sodique) qui exploite les eaux plus profondes (entre 200 et 300 m) des nappes du Trias Inférieur t1 et t2b-a (Grès et Conglomérats du Buntsandstein) à vocation "domestique" et "industrielle".
Un karst existe mais il reste superficiel ; il se révèle par la présence de drains, de dolines ou de petits gouffres en surface (gouffre de Ficherel, Fosse Bélier...). Il rend le gisement extrémement vulnérable à toute pollution.
Pour des documents comme des cartes délimitant les périmètres de captage, des coupes géologiques... voir les actes du Congrès du CFH (Comité Français d'Hydrogéologie) membre de l'AIH (Association Internationnale des hydrogéologues) qui s'est tenu à Evian du 15 au 17 octobre 2009 autour du thème "Protection des ressources et eaux minérales".
Seizièmes Journées Techniques du Comité Français d’Hydrogéologie de l’Association Internationale des Hydrogéologues
16-17 octobre 2009 - Palais Lumière, Evian, France
2) Les faciès pétrographiques :
Fig. 8: Position des différents gîtes dans la colonne stratigraphique (données chiffrées = âges en millions d'années - © BRGM - modifié)
- Les faciès dolomitiques t5c (Dolomie de Vittel du Muschelkalk Supérieur) et t6 (Lettenkohle) peuvent très facilement être confondus sur le terrain.
Ils contiennent tous les deux des passées fossilifères à Myophoria (fig.9), bivalve présent en plus ou moins grande abondance durant tout le Trias soit pendant 50 Ma de -250 à -200 Ma.
Fig. 9: Passée fossilifère à Myophoria (Dolomie dite "de Vittel" (t5c) lieu-dit "les Arbures" Remoncourt
La Dolomie est une roche reconnaissable sur le terrain à son grain particulier et au son cristallin du marteau qui la casse. Elle ne fait pas effervescence avec HCl (elle réagirait seulement avec HCl à chaud).
- Le faciès gris (Dolomie Supérieure de la Lettenkohle t6) montre des petits picots brunâtres (traces d'oxydes de fer) et un grain assez grossier nettement visible à l'oeil nu (fig.10).
Fig. 10: La Dolomie Supérieure de la Lettenkhole (t6) de couleur grise du lieu-dit "Diraupré" à Remoncourt
- La Dolomie blanc-crème dite "de Vittel" du Muschelkalk Supérieur (t5c) possède un grain plus fin que le faciès gris (t6) mais tout de même visible à la loupe. Comme la Dolomie grise rencontrée précédemment, elle est fortement gélive ; les affleurements présentent des diaclases (fig.5 et 6) et des écaillages (fig.11).
Fig. 11: Affleurement de Dolomie dite "de Vittel" (t5c) diaclasé et écaillé (talus de la RD 165)
La Dolomie "de Vittel" est moins compétente que la Dolomie grise et abondamment cariée (fig.12a et b).
Ces caries sont les traces laissées après dissolution des cristaux de gypse ou anhydrite contenus originellement par la Dolomie.
Cette caractéristique fréquente des faciès dolomitiques peut être observée dans d'autres faciès évaporitiques lorrains comme dans la Dolomie de Beaumont du Keuper Moyen (voir la Fiche Florémont).
Fig. 12 a et b: Faciès "cariés" dans la Dolomie dite "de Vittel "(t5c) (photo du haut : affleurement proche de l'hôpital de Vittel ; photo du bas : talus du RD 165 qui contourne Vittel )
3) Le contexte paléo-environnemental :
Les dépôts du Muschelkalk Supérieur (Ladinien) et de la Lettenkohle (Carnien Inférieur) montrent le passage de faciès franchement marins (Calcaires) à des dépôts lacustres confinés ou de plaine innondable de type "Playa" (faciès marneux ou gréseux, évaporites...)(7).
La Lorraine occupe au Trias une zone de transition entre des domaines continentaux à l'ouest et au sud (Massif Armoricain et Massif Central) zones sources des apports de matériel terrigène, et des étendues marines plus ou moins ouvertes et qui permettent des incursions d'eaux marines (la Mer Germanique qui occupe le Nord de l'Europe et la Théthys Occidentale qui s'étend plus au Sud)(fig.13). Cette localisation particulière est responsable de l'originalité des faciès rencontrés sur le terrain qui mêlent des dépôts évaporitiques à du matériel terrigène, des phases de sédimentation marine alternant avec des épisodes de dépôts à influences plus continentales.
Fig.13: Carte paléogéographique de l'Europe au Trias (d'après R. Blakey 2011 © cpgeosystems.com)
La Région Lorraine se situe sous une latitude tropicale au cœur de la Pangée durant le Trias (fig.13).
Le climat aride qui sévit à l'époque est peu favorable à l'épanouissement de la biodiversité ; il explique la relative rareté des fossiles (quelques rares passées à Myophoria...) présents dans les formations sédimentaires étudiées.
4) La protection des ressources :
Une partie du gisement (1) (4a et b) (5) est constitué de nappes libres, une autre de nappes captives qui ont livré des puits artésiens après forage. La faille de Vittel sert de drain aux eaux du Gîte B (Grande Source) et sépare les gisements des Gîtes A (Hépar au Nord de la Faille) et B (Grande Source au Sud de la Faille).
Une étude des sols et une description des méthodes et des moyens utilisés pour la protection des nappes sont abordés dans le livret d'excursion consacré au bassin de Vittel (2) qui a été publié lors du congrès annuel de l'APBG 1994. Ce document reformaté est accessible par téléchargement à partir de la liste des documents ou à partir de l'annexe II.
Dès la fin des années 80, la Société Générale des Eaux Minérales de Vittel (SGEMV) lança en partenariat avec l'INRA, un vaste programme pluridisciplinaire visant à protéger le périmètre des sources sans entraver le développement économique local. En 1992, une filiale du groupe appelée "Agrivair" fut créée.
Sur 10 000 ha et 11 communes environnant les sources, tous les acteurs locaux, agriculteurs et collectivités, s'engagèrent à ne plus utiliser de pesticides et à revenir à des pratiques agricoles raisonnées (arrêt de la culture du maïs gourmande en eau, rotation des cultures, utilisation de la lutte biologique avec des rapaces et des coccinelles..., compostage, couverture des tas de fumier et rétention des lisiers, rétention des eaux des chaussées...), tout en garantissant un revenu agricole élevé et un développement économique harmonieux.
Ces mesures toujours en vigeur aujourd'hui sont construites autour d'une idée louable : "Une eau saine commence par une terre saine".
Sources :
http://www7.inra.fr/vittel/resultats/Eval_Changement/SteAgrivair.htm
https://vertigo.revues.org/15912
5) L'exploitation des ressources par Nestlé Waters :
Longtemps exploitées indépendamment par la SGEMV, les ressources locales le sont maintenant, avec celles de Contrexéville, par la société Nestlé Waters, numéro 1 mondial de l'eau en bouteille avec les marques Vittel, Contrex, Hépar, Perrier, Quézac, Valvert, San Pellegrino...
900 millions de bouteilles ont été produites en 2008 (5,5% du marché de l'eau minérale) pour un chiffre d'affaire de 324 millions d'euros. (Données du site de la Société Nestle Waters 2012 : http://www.nestle-waters.fr ).
Bibliographie et sitographie :
(1) Minoux G. (1962) - Notice géologique et hydrogéologique sur les eaux minérales du bassin de Vittel (Vosges), BRGM, 8 pages. 62-DS-A057.
(2) Gras. F., Benoit M., Dormagen S. et Patte M. (1994) - Vittel et son environnement, Notice Congrès APBG Lorraine 1994, 24 pages.
(3) L'industrie de l'eau minérale et le tourisme thermal : L'exemple de Vittel, Pays de l'Ouest Vosgien, Vosges : Fiche 11, L'exploitation de l'eau par les Hommes. Réseau Hubert Curien, Réseau Régional de Culture Scientifique Technique et Industrielle en Lorraine, 4 pages.
(4a) Grua B., Maiaux C. (1991) - SGEMV - Alimentation en eau du centre thermal. Recherches de nouvelles ressources en eaux minérales dans le secteur dit "du Bois du Grand Ban", compte rendu de travaux de forage, BRGM, 39 pages. R34134 LOR 4S 91.
(4b) Grua B. Maiaux C. (1992) - SGEMV - Alimentation en eau du centre thermal. Recherche de nouvelles ressources en eaux minérales dans le secteur Nord-Ouest d'HEPAR, compte rendu de travaux de forage, BRGM, 33 pages. R34 238 LOR 4S 91.
(5) Maiaux C. (1980) - SGEMV - Etude hydrologique et hydrogéologique du bassin de Vittel en vue de l'extension des périmètres de protection des sources minérales (gîtes A, B et C), BRGM, 84 pages. 80 SGN 040 LOR.
(6) Maiaux C. (1992) - SCEMV - Rapport hydrogéologique "captage de Bonne Source", BRGM, 49 pages. R35 836 LOR 4S 92.
(7) BOURQUIN S. et DURAND M. (2007) - International Field Workshop on ‘The Triassic of eastern France’ - Livret d'excursion - Mémoires Géosciences Rennes, hors-série n°5, 80 pages.
Site Nestle Waters : http://www.nestle-waters.fr
Site "L'officiel du thermalisme" : https://www.officiel-thermalisme.com/la-carte-des-stations-thermales/
Actes du colloque du CFH-AIH d'Evian 2009
Auteurs : Philippe MARTIN - Patrick CITOYEN - Date de création : 09/01/2013 - Dernière modification : 13/09/2023