Grès à Voltzia Frémifontaine : 3. Description
La carrière était ouverte dans les Grès à Voltzia, formation du Buntsandstein supérieur des Vosges (fig. 3 et 4) d'âge Anisien (Trias moyen) (5). Ces grès, avec ceux des Couches intermédiaires sous-jacentes, étaient autrefois qualifiés de "Grès bigarrés" à cause de leurs variations de couleurs allant du rose lie-de-vin au gris-blanc.
Fig.3: Vue d'ensemble de la carrière de Frémifontaine (hauteur du front de taille entre 6 et 8 m)
La carrière de Frémifontaine permettait l'exploitation des Grès à meules, formation se rattachant à la partie inférieure du Grès à Voltzia (fig.4 et 4bis) qui comprend également les Grès argileux (fig.4bis), son terme supérieur, mais qui n'affleurent pas ici. La série complète du Grès à Voltzia est présente dans la carrière d'Adamswiller dans le Bas-Rhin (67), dont la description est faite dans la fiche du même nom et à laquelle on pourra se référer.
Fig. 4: Position du Grès à Voltzia dans la colonne stratigraphique
(âges donnés en M.a. = millions d'années - © BRGM)
Fig.4bis: Corrélation entre les affleurements de Grès à Voltzia de Frémifontaine et d'Adamswiller (âge donné en M.a. = millions d'années - © BRGM)
(log stratigraphique de la carrière d'Adamswiller d'ap. Guillocheau et al. 2002) (1)(2)
Le Grès à Voltzia montrent des faciès variès qui illustrent le passage dans le temps, d'un milieu continental fluviatile deltaïque (niveaux gréseux et argileux à faune et flore continentales des Grès à meules présents à Frémifontaine) à un milieu progressivement de plus en plus marqué par des influences marines (niveaux à grès argileux et carbonatés à fossiles marins des Grès argileux absents à Frémifontaine). Le Grès coquillier qui fait suite aux Grès argileux, est exclusivement marin et inaugure le Muschelkalk.
Des indices sédimentologiques (figures et structures sédimentaires) et paléontologiques permettent de déterminer l'origine fluvio-deltaïque des Grès à meules de Fréminfontaine.
À la base de la série, les grès possèdent un grain très fin à fin (grain moyen entre 0,1 et 0,2 mm). C'est cette caractéristique associée à une forte teneur en feldspaths qui a conduit les carriers à les exploiter (depuis le Moyen-Âge) en vue d'une utilisation ultérieure pour la fabrication de meules à aiguiser. Des carrières ouvertes dans les mêmes faciès et pour les mêmes raisons sont connues dans la région de Darney (88) ou près du Void d'Escles (88) (fiche Vallon Saint-Martin-d'Escles) ou encore à Niderviller (57).
Le front de taille de Frémifontaine, d'une hauteur cumulée de 7-8 mètres environ, débute par une série de bancs massifs se distinguant par leur teinte dominante : rose à la base, violet et vert ensuite, puis gris verdâtre à passées roses et enfin gris pâle (fig.5).
Fig.5: Grès à meules, bas de la falaise - faciès lité de couleur rose lie-de-vin à gris (à gauche)
et faciès de couleur grise (à droite)
Le gris, résultant de la présence de matière organique, est la couleur orginelle des sables à l'origine des grès. Cette teinte vire au rouge lorsque le sédiment et le fer qu'il contient, subissent une oxydation secondaire (rubéfaction), lors d'une exondation par exemple (4). Lorsqu'ils sont présents, les fossiles les mieux conservés se retrouvent dans les niveaux gris là où la marière organique a été la mieux préservée. Les niveaux rouges oxydés sont généralement dépourvus de fossiles.
Au-dessus de cet ensemble gréseux basal épais de plusieurs mètres, un premier banc argileux, accessible à hauteur d'homme (côté sud de la carrière), contient des restes de végétaux très abondants mais difficilement identifiables (fig.6).
a c
b d
Fig.6: Fossiles de végétaux flottés (a et b) ou de bois (c et d)
La partie supérieure du front de taille montre de belles structures sédimentaires en section : des chenaux qui se recoupent (fig.7 et 8) avec leurs dépôts lenticulaires à stratification et litages obliques (fig.9) et d'autres dépôts plus tabulaires, gréseux ou argileux intercalaires.
A l'extrémité sud de la carrière, on observe les strates les plus hautes de la série affleurant ici: il s'agit encore de bancs de grès fins, beige à ocre lités.
Fig.7: Vue générale (cliché du haut) et zoom (cliché du dessous) montrant
les dépôts lenticulaires caractéristiques du Grès à Voltzia sur le front de taille
le plus haut situé, dans la partie gauche (= nord) de la carrière.
Fig.8: Vue générale (haut) et zoom (dessous) de deux dépôts lenticulaires (L1 et L2)
de chenaux superposés - front de taille situé dans la partie droite de la carrière
Fig.9 : Stratification oblique dans une lentille gréseuse en bordure du chenal (cf. fig.8)
traduisant un dépôt sous l'influence de courants unidirectionnels (remarquer l'obliquité des lits croissant de la base vers le sommet de la couche)
Ces dépôts détritiques sont comparables à ceux actuels observables dans un delta, endroit où le fleuve hésite encore avant de se jeter dans la mer. Ces hésitations se traduisent par des divagations qui prennent la forme de méandres, de chenaux qui sont comblés puis recoupés lors des épisodes successifs de hautes eaux. La trace du travail d'érosion exercé sur les berges apparait dans les lacunes observées dans la série ou dans les troncatures des dépôts (fig. 7 et 8). La sédimentation des grès est lenticulaire : à Frémifontaine, il s'agit de lentilles d'épaisseur métrique qui peuvent s'étaler sur quelques mètres à une dizaine de de mètres. La surface des bancs n'est pas dégagée le long du front de taille vertical sur ce site. L'observation à plat des figures et structures sédimentaires affectant la surface inférieure ou supérieure des strates ou des lits n'est donc pas possible. Cependant, les nombreuses traces de ravinement à la base des lentilles ou la stratification oblique, traduisent l'installation d'un front de progradation sous un régime hydrodynamique conséquent (action du courant) qui s'estompe progressivement à mesure que l'on se rapproche du sommet de la lentille. La mise en place de ces corps lenticulaires gréseux est interprétée comme la conséquence de l'arrivée d'une décharge alluviale dans un chenal, à l'occasion d'une crue. La présence de feldspaths potassiques (20 à 30%) aux côtés des grains de quartz et de paillettes de muscovite dans le sédiment gréseux, est le signe de matériau détritique ayant subi une altération ménagée et une relative proximité des roches-mères granitiques (massifs hercyniens situés à l'ouest). L'effondrement ou le ravinement des berges en bordure de chenal peut aussi se produire à l'issue de ces épisodes de crue. Cet événement donne alors naissance aux dépôts bréchiques intraformationnels caractéristiques à galets mous, qui soulignent parfois la base des lentilles sableuses.
Les interbancs argileux, toujours de faible épaisseur (quelques centimètres) à Frémifontaine, traduisent des conditions de sédimentation plus calmes, de plaine alluviale en marge des chenaux. Il s'agissait probablement de milieux de dépôts correspondant à des étendues humides (étangs, lagunes, marécages...) éphémères comme en témoignent la présence de fentes de dessication ou la présence de racines en place au sommet de certaines lentilles argileuses sur d'autres sites (6). De tels environnements (fig.10) étaient favorables à l'installation de végétaux terrestres (équisétales, fougères et conifères tels que le célèbre - mais assez rare - Voltzia ayant donné son nom à la formation): ce sont les reliques fossilisées de cette flore que l'on retrouve enfouies dans les dépôts argileux épargnés par l'oxydation (fig.6).
Fig.10: Reconstitution de l'environnement fluvio-deltaïque du Grès à Voltzia (© Gall, 1971)
1: amphibiens stégocéphales, 2: conifère Voltzia, 3: lycophyte Pleuromeia,
4: conifère Yuccites, 5: fougère Anomopteris, 6: fougère Neuropteridium
Les reconstitutions paléoenvironnementales à plus grande échelle (6) présentent les Vosges au début du Trias moyen (vers -240 M.a.), comme une région située dans la zone intertropicale soumise à un climat chaud à saisons bien marquées. Une saison humide pendant laquelle se font les apports alluvionnaires, formant les barres sableuses des chenaux en eau. Ceux-ci serpentant au milieu d'une plaine alluviale où pouvait s'installer une biocénose capable de s'adapter également à une saison sèche, responsable de l'assèchement temporaire mais régulier des points d'eau.
Les eaux du delta "vosgien" qui se déversent dans la Mer germanique à l'est, reçoivent les produits de l'érosion des reliefs hercyniens qui dominent alors la topographie du centre et de l'ouest de la France.
Le Grès à Voltzia constitue une des rares formations fossilifères de la série sédimentaire fluviatile du Buntsandstein d'Europe de l'Ouest. La qualité exceptionnelle de la fossilisation, avec parfois conservation des tissus mous de certains organismes tels que des méduses ou des pontes d'insectes, dans les Grès argileux (6), a permis de livrer une image particulièrement édifiante de la vie, sur les bords de la Pangée, au début de l'ère secondaire.
Bibliographie
(1) GUILLOCHEAU F., PERON S, BOURQUIN S., DAGALLIER G. et ROBIN C. (2002) - Les sédiments fluviatiles (faciès Buntsandstein) du Trias inférieur et moyen de l'Est du Bassin de Paris. Bull. Information Géol. Bassin de Paris, 39, 5-12.
(2) BOURQUIN S. et DURAND M. (2007) - International Field Workshop on ‘The Triassic of eastern France’ - Livret d'excursion - Mémoires Géosciences Rennes, hors-série n°5, 80 pages.
(3) GRAUVOGEL-STAMM L. (1978) - La flore des Grès à Voltzia (Buntsandstein Supérieur) des Vosges du Nord (France). Morphologie, anatomie, interprétations phylogénétique et paléogéographique. Thèse de Doctorat soutenue à l'Université Louis Pasteur Strasbourg, publiée dans Sciences géologiques mémoire n°50, 225p. et 54 planches.
(4) GALL J.C. (1974) - Faunes et paysages du Grès à Voltzia du Nord des Vosges. Essai paléoécologique sur le Buntsandstein Supérieur. Mémoire du Service de la Carte géologique d'Alsace et de Lorraine, n° 314, 318p.
(5) GALL J.C. (1971) - Faunes et paysages du Grès à Voltzia du Nord des Vosges. Essai paléoécologique sur le Buntsandstein supérieur. Mém. Serv. Carte géol. Als.-Lorr., 34, 318 p.
(6) GALL J.C. (1994) - Paléoécologie - Paysages et environnements disparus. Coll. Enseignement des Sciences de la Terre - Masson éd.
Pour aller plus loin:
(7) BEAUCHAMP J. (2005) - Sédimentologie, Chapitre 5: Les dépôts continentaux. Cours en ligne, Université de Picardie, France: https://www.u-picardie.fr/beauchamp/cours-sed/sed-5.htm
(8) BOULVAIN F. (2015) Une introduction aux processus sédimentaires. Cours en ligne. Université de Liège, Belgique: http://www2.ulg.ac.be/geolsed/processus/processus.htm
(9) SUTTER A. (2008) - Sedimentology, Depositional Environments and Sequence Stratigraphy. Cours en ligne: http://www.seddepseq.co.uk/DEPOSITIONAL_ENV/SedEnvi.htm
Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 28/12/2015 - Dernière modification : 15/02/2016