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Méandre actuel de Bainville-aux-Miroirs : 3. Description

1. Les divagations de la Moselle et la ripisylve

La Moselle est excentrée sur la gauche dans son lit majeur et serpente en retrouvant un cours sauvage entre Charmes et Bayon. Le lit majeur actuel est large (de un km à plusieurs km selon les formations traversées), il correspond à "la vallée de la Moselle" au sens large ; ce lit a progressivement été creusé dans les roches sédimentaires du Trias Supérieur (Keuper). Au fond du lit majeur, sur les calcaires, dolomies et marnes triasiques, se sont déposées les alluvions transportées puis abandonnées lors de l'épisode glaciaire würmien (dernière glaciation alpine du Pléistocène). La Moselle creuse actuellement son lit mineur dans ces alluvions, constituant la basse terrasse de la Moselle, une terrasse se formant lorsque un cours d'eau s'encaisse dans ses propres alluvions (fig.4, 15 et 16). Les périodes glaciaires correspondent en effet à des phases d'alluvionnement marquées par d'importants épandages sédimentaires (période de rhéxistasie) ; à l'inverse, la sédimentation est moindre durant les périodes interglaciaires, intervalles de temps pendant lesquels le creusement des vallées est à l'œuvre, comme actuellement (période de biostasie).

Les matériaux transportés, comme en attestent les dépôts, sont essentiellement solides et grossiers (arénites et rudites - fig.16)(4). Cette caractéristique, ainsi que le "tempérament impétueux" de la Moselle lors de ses crues, conduisent à ce que la rivière dessine, en se déplaçant au grè de ses humeurs, une tresse complexe faite de chenaux imbriqués qui remanient la terrasse du Würm (fig.5).

De belles observations de l'activité de ce cours d'eau peuvent ainsi être menées en amont de Bainville-aux-Miroirs (fig.6 et 7). La tresse est la matérialisation de l'activité "caractérielle" de la Moselle qui transporte le plus souvent une charge solide importante ; à l'opposé, une rivière sinueuse mais transportant essentiellement du matériel fin en suspension (voir par exemple la Seine dans sa partie aval) circulerait dans un lit unique.

Fig.4: Un méandre actif séparé d'un autre méandre abandonné (à gauche) par une île temporaire

Fig.5: Un réseau de méandres en tresse. Cartographie des différents lits occupés par la Moselle de 1830 à 2006 (panneau sur le sentier découverte de la Moselle Sauvage - © CEN Lorraine). Le sens d'écoulement est sud-nord (bas vers le haut de la carte).

Fig.6: Un méandre abandonné (lit 1900 = en rouge sur la fig.5) mais encore emprunté
régulièrement par la Moselle lors des épisodes de crues annuelles.

Fig.7: Une autre méandre abandonné depuis plus longtemps et en partie recolonisée par la végétation (lit 1830 et/ou 1900?
= en jaune orangé ou en rouge sur la fig.5) emprunté seulement lors des crues majeures
.

Pendant les quelques heures que nous avons passées au cœur de la ripisylve en décembre 2015, nous avons compris pourquoi le milieu est comparé à une "jungle" tropicale (fig.8). Il faut en effet en permanence chercher un accès au milieu d'un fouillis végétal entrecoupé de laisses et de rigoles, et même en hiver, cela s'apparente à un parcours du combattant ... monter, descendre, franchir au-dessus, en dessous... Cela nous a permis d'observer de près le héron cendré et le renard, ainsi que des traces de l'activité d'autres animaux comme le castor d'Europe, réintroduit ici en 1984 (fig.9), ou les pics...

Fig.8: Panneau décrivant la flore et la faune locales luxuriantes dans la ripisylve en été (© CEN Lorraine).

Fig.9 : Le Castor laisse la trace de ses travaux nocturnes de bûcheronnage

2. Érosion, transport et dépôt

Le site de la Moselle Sauvage est exempt d'aménagements (pas de barrages...) et les granulats n'y sont pas exploités par l'Homme (pas de gravières...).

Il permet de belles observations de figures d'érosion, de transport ou de sédimentation qui illustrent à merveille les observations du géographe suédois Philip Hjulström (1902-1982) traduites dans son célèbre diagramme (fig.10).

Fig.10: Le diagramme classique de Hjulström © Pinto Martins D. 2008 (1)

Dans un méandre, la vitesse du courant est plus importante à l'extérieur qu'à l'intérieur de la courbe (fig.11 et 12), la masse d'eau devant parcourir un chemin plus grand lorsque le rayon du cercle à parcourir augmente (pour une même vitesse angulaire, la vitesse linéaire sera différente).

Fig.11 :  Tracé de méandres et vitesse du courant (© Pomerol C., Lagabrielle Y. et Renard M.)(2) et correspondance avec les méandres de la Moselle en aval de Bainville-aux-M. (prise de vue par drone © Christophe Marciniak 2022)

Fig.12: Profils de méandre et vitesse du courant (© Bourque P.A.)(3)

A taille de sédiment égale, c'est la vitesse du courant qui déterminera si le sédiment sera érodé (arraché et mis en circulation et emporté si la vitesse est assez élevée), seulement transporté si l'énergie est moindre (mais il faut qu'il ait été déjà arraché auparavant, la rivière en étant incapable à cette vitesse), ou déposé si la vitesse est insuffisante.

L'érosion est alors plus active sur la rive concave (en creux) que sur la rive convexe (en relief) et le dépôt plus important sur la rive convexe que sur sur la rive concave (fig.11,13 et 14).

Cela se traduit sur le terrain par l'observation d'une berge abrupte, à pente raide, en talus, sur la rive concave (fig.13) qui s'oppose à une berge formée par un banc de galets et d'alluvions plus fines, en pente douce, en barre, sur la rive convexe (fig.14).

Fig.13: Rive concave à pente abrupte formant un talus = illustration du travail d'érosion de la rivière

Fig.14: Rive convexe en pente douce avec barre et banc de galets (haut-fond)
résultant d'un alluvionnement / dépôt par sédimentation

La dualité érosion - dépôt entraîne une migration latérale du méandre.

Le profil de la berge actuelle retrace une partie de l'histoire de la terrasse alluviale aujourd'hui entaillée par celle-la même qui l'a constituée (fig.15a). Cet enregistrement est forcément partiel et fragmentaire puisque certaines parties de l'histoire ont probablement été éffacées par le travail d'érosion et de recoupement des méandres.

Ce qui a été préservé, caractérisé par des dépôts grossiers (graviers, galets = rudites), conserve cependant la mémoire (fig.15b) d'événements climatiques froids, en domaine périglaciaire, pendant lesquels l'énergie et le débit étaient élevés ou, à la faveur d'un dégel saisonnier, se produisait l'arrivée d'imposantes charges sédimentaires (fig.16). Ces bancs de matériel grossier hétérométriques alternent avec des dépôts plus fins mieux triés (sables = arénites), illustration d'épisodes de réchauffement ponctuels, plus calmes et plus humides. Certaines longues périodes sans apports sédimentaires, peut-être dues au déplacement du lit de la rivière, sont aussi enregistrées au travers de l'installation, au-dessus des dépôts, de paléosols plus foncés parce que plus riches en matières organiques (fig.15b).

   15a

 15b

Fig.15 a et b: Rive concave et gros plan de profil de la terrasse alluviale entaillée par la Moselle actuelle (hauteur de la coupe = 1,50 m).

Figure 16: Dépôts fluviatiles et formation des terrasses lors de l'alternance de périodes climatiques de refroidissement et de réchauffement - d'après Chaline, 1985 (5) et Anselme, 2011 (6) modifiés

La crue majeure de novembre 2023 (5,11 m à la station de Châtel/Moselle) a ré-emprunté un ancien bras de la rivière (lit 1900 en rouge sur la fig. 5). Un banc d'alluvions progradant a en partie comblé l'ancien chenal (fig. 17 a et b).

a: Vue depuis l'aval sur un des bancs d'alluvions progradant sur des dépôts antérieurs.

b: Vue amont du même site. L'ancien chenal 1900 (en rouge sur la fig. 5) matérialisé par les arbres est en partie comblé par des alluvions récentes apportées en 2023.

Fig. 17: Alluvionnement par progradation au cours de la crue de la Moselle en novembre 2023.

3. Pétrographie des alluvions

Les alluvions sont constituées de matériel non consolidé, hétérogène en taille (voir fig.18 pour une nomenclature internationale) et en nature (roches métamorphiques, magmatiques et sédimentaires). On y retrouve pêle-mêle, en vrac, un aperçu de tous les faciès pétrographiques qui affleurent en amont (fig.19),  accompagnés de vestiges de matériaux anthropiques (béton, tuile...). Elles constituent ainsi un excellent "musée" de pétrographie à ciel ouvert.

Fig. 18: Classification des éléments détritiques selon la taille ; les termes "limons", gravillons" et "lutite"  peuvent être respectivement remplacés par "silts", "graviers" et "pélite" (nomenclature internationale selon Wentworth 1922 ; © geologues-prospecteurs.fr)(4)

Fig. 19: Echantillonnage (non exhaustif) de quelques roches récoltées dans les alluvions de la basse terrasse
(conglo = conglomérat principal, do = dolomie, gn = gneiss variés, gr = granite, La = lave acide, Lb = lave basique, lept = leptynites, mig = migmatites, qz = quartzite)

Le pétrographe pourra ici échantillonner les principales roches présentes dans les  Hautes Vosges (originaires de tout le bassin d'alimentation actuel de la Moselle + originaires des dépôts morainiques témoins des glaciations anciennes) et de quelques roches sédimentaires locales ou proximales qui ont subi un transport court. On y trouvera :

- des roches sédimentaires:

  • locales: la dolomie de Beaumont en pavés peu émoussés (calcaire dolomitique qui ne résisterait pas à un long transport parmi des roches siliceuses) ;
  • proximales (région d'Épinal): le Grès Vosgien et le Conglomérat Principal ou ses galets de quartzites de différentes couleurs si celui-ci a été démentelé et qui alors peuvent venir de beaucoup plus loin en amont.

- des roches magmatiques:

  • granitoïdes divers: surtout  le Granite fondamental et le Granite des Ballons mais peu de Granite des crêtes ;
  • laves acides (rhyolites roses) ou plus basiques (andésites vertes).

- des roches métamorphiques, les plus nombreuses en quantité et variété, fragments de la croûte continentale écaillée lors de l'orogénese varisque avec:

  • des granulites (en particulier des granulites claires ou leptynites de la croûte inférieure) ;
  • des gneiss variés montrant de belles foliations ou des déformations ductiles et dont les faciès sont plus ou moins migmatisés (correspondant en particulier aux Migmatites de Gerbépal).

Le travail de débitage et de polissage actuel est l'oeuvre de la Moselle et de ses affluents (la Moselotte et la Vologne essentiellement).

Bibliographie

(1) PINTO MARTINS D. (2008) - Aménagements hydroélectriques et impacts sur la dynamique des flux d'eau et de sédiments : le cas du Haut Paraná, Brésil. Thèse de Doctorat, 243 p.

(2) POMEROL C.,  LAGABRIELLE Y. et RENARD M. (2005) - Éléments de géologie, 13e édition, Dunod Ed., 760p.

(3) BOURQUE P.A. (2010) - Planète Terre, Cours en ligne, chapitre 3.1.1. Les eaux de ruissellement, Université de Laval Québec.

(4) http://www.geologues-prospecteurs.fr/dictionnaire-geologie/r/index.php?page=4

(5) CHALINE J. (1985) - Histoire de l'Homme et des climats au Quaternaire. Doin éd.

(6) Blog de Bruno ANSELME - Cours de SVT en BCPST2.

 


Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 29/12/2015 - Dernière modification : 20/04/2024

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Contact : Roger CHALOT (Géologie) - Christophe MARCINIAK (Réalisation)