Paléoterrasse de Flin : 3. Description
1. Description des affleurements et cadre chronostratigraphique
La Meurthe a progressivement creusé sa vallée et abandonné des terrasses alluviales durant tout le Pléistocène et l'Holocène (doc.2 et 8). La terrasse Me4 (ou F-Mem4) correspond à celle du Bois de Feys à Ménil-Flin et se situe en rive droite de la Meurthe à une altitude de 275 m, soit environ 30 m au dessus du niveau actuel de la Meurthe (doc.1 et 2). Entre Baccarat et Lunéville, la terrasse Me4 fait partie d'un ensemble étagé de 5 terrasses (Me0 à Me4 - doc.2) dont elle occupe la position la plus élevée. D'autres terrasses de la Meurthe plus anciennes (Me5 à Me7) se rencontrent à plus haute altitude, plus au nord et jusqu'en Allemagne, dans la vallée de l'actuelle Moselle (voir aussi un autre exemple de terrasse alluviale pour la Sarre sur ce site : ICI) ; avec Me4, elles correspondent aux nappes alluviales de la Meurthe déposées avant l'épisode de capture de la Moselle par la Meurthe (vers 270 ka) - voir la fiche Toul-Val de l'Asne sur la capture de la Moselle sur ce site.
Doc.2 : Position et stratigraphie de la terrasse Me4 de Ménil-Flin (a = périglaciaire ; b = pléniglaciaire ; c = tardiglaciaire/tardistadiaire; d = interglaciaire ou interstadiaire + flèches = incision de vallée - d'après Occhietti et al., 2012) - cliquer sur l'image pour visualiser une échelle stratigraphique du Quaternaire
Aujourd'hui, l'observation in situ des dépôts alluvionnaires de la Meurthe dans l'ancienne sablière de Ménil-Flin est devenue délicate car les fronts de taille de la carrière ont beaucoup évolué (éboulements) et ont été en grande partie recolonisés par la végétation en une dizaine d'années, depuis la mise en sommeil du site au début des années 2010 (doc.3a et 3b).
Doc.3a : Vue depuis le sommet de la carrière à l'hiver 2022 (front de taille ouest orienté NE-SO)
Doc.3b : Évolution de l'état de la carrière (front de taille sud orienté E-O) et de la végétation entre 2009 (cliché © BRGM) et 2022.
Trois unités (deux essentiellement sableuses basales notées A et B et une unité sommitale faite de matériel plus grossier notée C) ont été distinguées dans la carrière de Ménil-Flin (Cordier, 2004).
Les sédiments rougeâtres constituant les dépôts de la terrasse Me4 sont riches en éléments détritiques essentiellement siliceux (sable, graviers, petits galets) mêlés à une matrice argileuse. Ces éléments siliceux proviennent et du démantèllement de la couverture sédimentaire détritique siliceuse du Trias Inférieur (Buntsandstein) et de l'érosion des roches du socle cristallin (granitoïdes, migmatites et roches métamorphiques) comme en attestent les minéraux lourds présents dans les sables : zircon et tourmaline venant des roches de la couverture triasique, grenat et amphibole provenant des roches du socle. La prédominance (plus de 50%) de zircon et tourmaline plaide en faveur d'apports prédominants de matériaux issus de l'érosion de la couverture triasique (Cordier, 2004).
L'unité basale A (puissance < 3 m) essentiellement sableuse est difficile à observer. Les litages y sont généralement subhorizontaux et sont caractéristiques de variations d'énergie du milieu modérées pouvant être rattachées à de possibles petits épisodes de crues saisonnières. Les grains sont un peu plus grossiers en haut de l'unité et le granoclassement est donc négatif attestant d'une augmentation modérée de l'énergie disponible au cours du temps.
L'unité intermédiaire B (3 m de puissance environ) est également sableuse mais plus riche en petits lits de graviers qui surlignent les stratifications. Elle est aussi plus facile à observer. Elle montre des stratifications obliques entrecroisées qui suggèrent un style fluvial tressé à compétence modérée (Cordier, 2004). Le granoclassement est ici globalement positif avec les lits graveleux dessinant la base des chenaux et plutôt présents à la base de l'unité. L'énergie a donc ici baissé au cours du temps.
L'unité C (puissance entre 1 m et 1,4 m) montre un remplissage de chenaux avec un matériel plus grossier et mal classé. Ces chenaux recoupent et sont discordants sur l'unité B qui a donc été érodée (doc.5 et 6). Bien qu'à dominante sableuse et graveleuse, cette unité contient davantage d'éléments grossiers (plus de graviers et quelques petits galets < 5cm) que les unités sousjacentes (doc.6). La nature de ces dépôts atteste d'une nette augmentation de la compétence fluviale et donc d'une augmentation de l'énergie disponible dans la rivière.
Les traces de ces chenaux d'écoulement remplis de sédiments grossiers (unité C) observables lorsque la carrière était encore en exploitation ont été immortalisés au début du siècle (doc.4 - Cordier, 2004) avant que le recul du front de taille lié à l'exploitation et la recolonisation ne les masquent ou ne les fassent disparaître à jamais. Ils décrivaient des épisodes d'érosion ou de ravinement et dessinaient des discordances de recoupement de l'unité C sur l'unité B.
Doc.4 : Front de taille dans les années 2000 avec caractérisation de chenaux (Planche de photographies extraite des annexes de la thèse de Stéphane Cordier 2004)
Une coupe stratigraphique réalisée plus récemment dans les niveaux sommitaux de la terrasse (Niveau C essentiellement - Harmand et al., 2015) met bien en évidence les variations de la granulométrie (doc.5 et 6) avec granoclassement négatif et l'augmentation de l'énergie vers le sommet de la coupe.
Doc.5 : Alternance de lits d'alluvions à granulométrie variable (A : vue rapprochée du front de taille ouest ; B : faciès B - cf. doc.6 - grossier à galets de quartzites et de granites ; C : faciès C - cf. doc.6 - fin sableux).
Doc.6 : Coupe lithostratigraphique du front de taille sud (d'après Harmand et al., 2015). La fraction granulométrique grossière augmente en % vers le sommet de la coupe et atteste d'une augmentation de l'énergie. - cliquer sur l'image pour l'agrandir ou ICI pour un profil interprétatif complémentaire
2. Datation et contexte de mise en place des dépôts
L'ensemble des terasses étagées de la Meurthe (doc.2) a fait l'objet de datations "absolues" soit par thermoluminescence (datation OSL = Optical Stimulated Luminescence ou Luminescence Stimulée Optiquement) pour les plus récentes (Holocène) soit par résonance électronique de spin (ESR) pour les plus anciennes. Le principe de la méthode ESR, utilisée pour la datation de la terrasse Me4 de Ménil-Flin et pour d'autres terrasses voisines d'équivalence stratigraphique (Rehainviller et Vathiménil), est rappelé par Harmand et al., 2015 (voir aussi cette page : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00412576) :
"La méthode ESR est une méthode paléodosimètrique dans laquelle les échantillons de quartz sont considérés comme des dosimètres, qui ont enregistré la dose totale de radiations reçue depuis leur enfouissement. La datation est fondée sur le comportement des centres paramagnétiques électroniques (ndlr = pièges à électrons dans les défauts du système cristallin) du quartz lors d’une exposition prolongée, d’une part, à la lumière solaire pendant le transport fluviatile et, d’autre part, aux radiations ionisantes dans le sédiment. L’âge du dépôt des grains de quartz est obtenu en divisant la dose totale de rayonnements reçue par l’échantillon (ou dose équivalente, De) par celle reçue en une année (dose annuelle ou débit de dose, Da)."
Si les âges obtenus (de 431 à 475 ka) paraissent cohérents et correspondre à la fin du Pléistocène moyen (Saalien) pour les terrasses de Rehainviller et Vathiménil, il n'en va pas de même pour Ménil-Flin (826 ka). D'après les auteurs de ces datations (Harmand et al., 2015), cette surestimation semble être liée, dans l'échantillon, à une certaine hétérogénéité des grains de quartz ne présentant pas tous les mêmes propriétés physiques en termes de sensibilité aux rayonnements. Ceci est généralement dû à des différences structurelles acquises lors de la formation des grains de quartz, ce qui indiquerait par conséquent des origines distinctes pour ces derniers. Selon ces considérations et par corrélation stratigraphique, la terrasse Me4 de Ménil-Flin doit vraisemblablement possèder un âge saalien, comparable à celui des terrasses voisines siégeant à la même altitude. Cet âge saalien coïncide avec une période froide du Pléistocène moyen (contemporaine de la glaciation du Riss).
Doc.7 : Evolution de l'emprise de la paléo-vallée de la Meurthe durant le dernier million d'années avec position de la paléo-vallée Me4 à + 30m et de la terrasse Me4 correspondante (d'après Harmand et al., 2015).
Dans le contexte des alternances climatiques interglaciaires-glaciaires du Quaternaire, la mise en place d'une nappe alluviale à l'origine d'une terrasse fluviatile illustre une période de sédimentation intense, comprenant des phases granulométriques grossières (rudites) et plus fines (sables et silts), prépondérante durant les épisodes froids alors que l'incision des vallées, responsable de l'étagement des terrasses, se déroule préférentiellement durant les épisodes de réchauffement avec diminution des apports sédimentaires (doc.2 et 7 ; voir aussi la fig.16 de la fiche de Bainville-aux-Miroirs sur ce site).
Bibliographie:
Cordier S. (2004) - Les niveaux alluviaux quaternaires de la Meurthe et de la Moselle entre Baccarat et Coblence : Etude morphosédimentaire et chronostratigraphique, implications climatiques et tectoniques. Thèse de Doctorat, Université de Paris-XII Val de Marne, 437 pp.
Occhietti S., Cordier S., Harmand D. et Kulinicz E. (2012) - Lithostratigraphie des terrasses de la Meurthe et de la Sarre en périphérie des Vosges et de l'Hunsrück (France, Allemagne) : réponse des cours d'eau aux fluctuations climatiques pléistocènes. Géomorphologie, N° Spécial vol.18-n°4 "De la géomorphologie fluviale aux archives fluviales", pp. 441-458.
Harmand D., Voinchet P., Cordier S., Bahain J.J. et Rixhon G. (2015) - Datations ESR de terrasses alluviales des vallées de la Moselle et de la Meurthe (France, Allemagne) : implications chronostratigraphiques et limites méthodologiques. Quaternaire, vol. 26/n°1, p.13-26.
Auteurs : Didier ZANY - Philippe MARTIN - Date de création : 08/09/2021 - Dernière modification : 26/08/2022