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Ancienne carrière de la Folie : 3. Description

1. Description des terrains et environnements de dépôts

Fig.4 : Vue panoramique du sommet du front de taille (Calcaires de Dainville) de l'ancienne carrière - cliquer sur l'image pour l'agrandir

La carrière de "la Folie" (fig.4) exploitait les calcaires très purs des formations de la transition Oxfordien moyen-Oxfordien supérieur (Jurassique supérieur - fig.5a et 5b) afin de fournir une matière première destinée à l'industrie comme le font encore les autres carrières qui sont demeurées en activité à Pagny-sur-Meuse et St.-Germain-sur-Meuse (calcaire pour alimenter les soudières) ou à Sorcy et Dugny-sur-Meuse (calcaire pour alimenter les fours à chaux).

 

Fig.5a : Place des formations exploitées dans la série stratigraphique régionale (dans ce log peu détaillé, les formations étudiées sont placées à la base de l'Oxfordien supérieur - illustration © BRGM)

Fig.5b : Position des terrains dans la lithostratigraphie de l'Oxfordien de Lorraine (dans cette description fine des faciès, les formations étudiées se situent au sommet de l'Oxfordien moyen et à l'extrème base de l'Oxfordien supérieur - d'après Carpentier, 2004) - cliquer sur la figure pour l'agrandir

L'ancienne carrière abandonnée entaille le plateau de la Côte de Meuse (plateau de Bussy - fig.2) dominant la vallée du fleuve éponyme à Vaucouleurs. Le front de taille permet d'observer, presqu'en continu sur une trentaine de mètres de puissance, la série des formations qui caractérisent localement la partie terminale du Complexe récifal supérieur et de l'Oxfordien moyen (fig.5a et 5b) : sommet des Calcaires crayeux de Maxey (10m) à la base et Calcaires de Dainville (15m) sus-jacents (Carpentier, 2004). Sauf peut-être en étant équipé pour l'escalade, l'occurrence des Marnes silteuses de Maxey (marquant le passage à l'Oxfordien supérieur), au-dessus des Calcaires de Dainville, n'est plus que théorique car la végétation a progressivement fait disparaître l'essentiel des affleurements de cette formation sur les cinq dernières mètres, tout en haut du front de taille de la partie accessible de la carrière.

Les unités lithologiques présentes illustrent les épisodes sédimentaires qui accompagnent les cycles de transgression-régression, s'opérant sur une plate-forme carbonatée peu profonde, établie sur la Lorraine, au début du Jurassique supérieur (voir fig.15).

Fig.6 : Vue vers le sud depuis le palier 2 sur les Calcaires de Dainville et le palier 1 en contre-bas - cliquer sur l'image pour l'agrandir

Dans le secteur nord de la carrière, le découpage du front de taille fait apparaître trois paliers (fig.6) depuis lesquels l'échantillonnage et les observations des formations géologiques sont encore possibles (avec toutes les précautions de mise en sécurité requises = ne pas s'approcher du bord des falaises - risque de chute ou d'éboulement - + port d'un casque - risque de chute de pierres) : le plus bas (n°1) est situé au pied du front de taille principal, dominant et entourant le plan d'eau ; le deuxième ou intermédiaire (n°2), est une corniche juchée à une quinzaine de mètres de hauteur, offrant un beau panorama sur l'ensemble du site (fig.6) et le dernier (n°3), positionné moins de deux mètres au-dessus du précédent, est en cours de reboisement (plantations de pins sylvestres).

La totalité des niveaux de la série n'est pas directement accessible et seuls quelques uns des faciès peuvent être observés en place. Pour un descriptif détaillé et complet de la stratigraphie et des faciès, on pourra se référer à la thèse de C. Carpentier (2004 - pp.167-168 et fig.A36 p.373) dont les données sont largement reprises ici.

La description qui suit est abordée en montant dans la série et en considérant les formations à l'affleurement depuis le palier 1 jusqu'au palier 3.

Fig.7 : Calcaires crayeux de Maxey : faciès à péloïdes (petits grains) et oncoïdes (plus gros grains) - (encadré : 1 graduation verticale = 1 mm)

À la pointe nord-est du lac (hangar), le palier 1 repose sur une assise de bancs de calcaires blancs (6 à 8 m d'épaisseur) appartenant à la formation des Calcaires crayeux de Maxey (fig.7), dans lesquels ont été aménagés des tunnels ou garages, utilisés durant l'exploitation de la carrière au siècle dernier. La texture de la roche, d'apparence crayeuse, se révèle être un packstone à péloïdes et oncoïdes, c'est-à-dire un calcaire à grains fins (< 2 mm) et jointifs, de forme sphérique à ovoïde, sans (péloïdes) ou avec cortex (oncoïdes) englobés dans une matrice micritique. D'après Carpentier (2004), les péloïdes présents ici seraient d'anciens grains de type ooïdes (= "oolites") micritisés et les oncoïdes, résultant d'encroûtements biogéniques (algaires) autour d'un nucléus. Ce faciès et ces éléments traduisent un environnement de dépôt marin de type lagonaire protégé, peu profond. Hormis quelques foraminifères benthiques ubiquistes (milioles), ces roches sédimentaires ne contiennent généralement pas ou très peu de fossiles.

Fig.8 : Structures sédimentaires de type bird-eyes dans les Calcaires crayeux de Maxey

Depuis le palier 1, la série se poursuit au pied du front de taille principal de la partie nord de la carrière où on croise encore des vestiges construits de l'ancienne exploitation. Émergeant au sommet d'un talus d'éboulis, les premières strates rencontrées forment un ensemble homogène d'environ deux mètres de puissance. Elles sont caractérisées par un faciès calcaire fin (micritique) de texture mudstone à wackestone (moins de 10% de grains ou allochèmes). Des structures sédimentaires particulières appelées "bird-eyes" (yeux d'oiseaux) y sont fréquentes : il s'agit d'anciennes vacuoles de dimensions millimétriques à centimétriques, de forme irrégulière, comblées par des cristaux de calcite (fig.8). Ces figures traduisent un dégazage du sédiment dans lequel des bulles d'air étaient prisonnières. Des cristaux bruns d'oxydes (ou hydroxydes?) de fer constituent les autres éléments de la roche. Ces faciès se rencontrent dans des milieux littoraux de la zone intertidale (= zone de balancement des marées) et donc régulièrement soumis à l'émersion.

Fig.9 : Couche d'argiles vertes supratidales dans les Calcaires de Dainville

Un niveau décimétrique d'argiles verdâtres compactées (fig.9) avec traces de racines de végétaux (Carpentier, 2004) souligne l'occurrence d'un environnement supratidal (émergé) marquant ainsi un maximum régressif dans cette série. Cet interbanc argileux sépare l'ensemble précédent des suivants, caractérisés par l'apparition de gravelles roses (= intraclastes microbiens) dans des calcaires fins de lagon (fig.10).

Fig.10 : Échantillon de calcaire fin à gravelles roses (Calcaires de Dainville)

Le sommet du front de taille depuis le palier 1 n'est pas accessible à l'observation directe. Cependant, dans les éboulis il est possible d'observer des faciès plus grossiers à éléments roulés (calcirudite) et des faciès à texture grainstone (oosparite) de lagon externe ou de shoal oolithique. Ces caractères pétrographiques montrant un changement d'environnement de dépôt (à hydrodynamisme accru) se rapprochent de la description des Calcaires de Dainville, donnée par Carpentier (2004). Par conséquent, le passage des Calcaires crayeux de Maxey aux Calcaires de Dainville doit se situer juste au-dessus des derniers bancs de calcaires micritiques à bird-eyes, à l'emplacement du mur de la couche d'argiles vertes (fig.11). Le toit du front de taille est constitué de deux bancs de calcaire massif à patine noire bien repérables sur l'ensemble des falaises de la carrière et sur lesquels s'appuie le deuxième palier.

Fig.11 : Passage des Calcaires crayeux de Maxey aux Calcaires de Dainville - cliquer sur l'image pour l'agrandir

Par ailleurs, ces unités calcaires appartenant aux deux formations sont parcourues par des joints stylolitiques parallèles à la stratification (fig.12). Ces structures indiquent une dissolultion des carbonates sous l'effet de la pression lithostatique, lors de la compaction de la roche en fin de diagenèse. Ils ne sont donc pas en lien avec une quelconque activité tectonique ici.

Fig.12 : Joints stylolitiques horizontaux dans les Calcaires de Dainville - cliquer sur l'image pour l'agrandir

L'accès aux deuxième et troisième paliers se fait depuis un sentier partant de l'aire de dépôt de gravats inertes. Le palier 2 est bordé par un talus, n'excédant pas deux mètres de haut, où se positionnent les bancs supérieurs des Calcaires de Dainville. Sa base est marquée par un niveau marneux au contact des barres repères à patine noire formant le palier. Au-dessus, le faciès grainstone (oosparite ou pelsparite) domine. Le sommet de cet ensemble est coiffé d'une surface ferruginisée et bioturbée (terriers béants aux parois tapissées d'oxydes ou hydroxydes de fer de couleur rouille et parfois remplis d'argiles - fig.13). Ces produits d'altération indiqueraient une karstification précoce sous climat tropical.

Fig.13 : Bioturbation et traces de karstification (dépôts ferrugineux) dans les Calcaires de Dainville

Un niveau calcaire marneux (1 m d'épaisseur) bioturbé à péloïdes de couleur orangée et qui est ferruginisé / karstifié assure la transition vers le troisième palier. À ce niveau, le dernier étage du front de taille est largement enherbé ; ne subsistent alors que quelques pointements rocheux à l'affleurement (fig.14) : il s'agit de marnes indurées beiges récoltées près du sommet correspondant peut-être aux Marnes silteuses de Maxey (Oxfordien sup.) et traduisant l'influence croissante des apports terrigènes aux dépens de la sédimentation lagonaire purement carbonatée.

Fig.14 : Le sommet enherbé du front de taille depuis le palier 3

--> En résumé, la série sédimentaire de la carrière de la Folie marque l'enregistrement de deux cycles de transgression-régression successifs sur une plate-forme carbonatée peu profonde de type Bahamas, occupant la Lorraine durant l'Oxfordien moyen (fig.15), sous un climat chaud et aride (Olivier et al., 2004). Le premier cycle correspond au dépôt des Calcaires crayeux de Maxey débutant par une sédimentation lagonaire interne en domaine protégé puis transitant progressivement vers des dépôts supratidaux colonisés par une végétation terrestre. Le deuxième cycle est illustré par la mise en place des Calcaires de Dainville commençant par un épisode transgressif et une sédimentation de lagon externe soumise à un hydrodynamisme important et se terminant par l'émersion et la karstification précoce des calcaires sommitaux. Compte-tenu de leur durée moyenne (0,3 à 0,4 Ma ; Carpentier, 2004), l'origine de ces cycles est vraisemblablement climatique et contrôlée par les cycles orbitaux de la Terre (Strasser et al., 1999).

Fig.15 : Paléogéographie de l'Europe de l'Ouest à l'Oxfordien (d'après Carpentier, 2004)

 

2. L'exploitation des calcaires oxfordiens comme ressource

Les calcaires exploités à Vaucouleurs servaient à la production de chaux1 (Carpentier et Lauwers, 2018) destinée plus spécialement à l'industrie métallurgique. La fabrication de la chaux nécessitant de porter à haute température (900°C) des calcaires relativement purs, des fours à chaux ont été créés en même temps que la carrière par l'entrepreneur Ernest Bon, en 1875. Ceux-ci ont fonctionné pendant près d'un siècle entre 1875 et 1967 (voir l'histoire des anciens fours à chaux ici: Histoire des anciens fours à chaux et Fours à chaux de Vaucouleurs).

Fig.16 : La Carrière de la Folie vers 1930 Fours à chaux de Vaucouleurs)

À la fin du XIXème siècle, la demande accrue de la sidérurgie fleurissante stimule l'essor de l'activité du site valcolorois qui entreprend la construction de nouvelles installations de production : en 1894, ce sont les premiers fours à chaux industriels fonctionnant en Lorraine, ils alimentent alors en chaux les aciéries de Pompey près de Nancy en Meurthe-et-Moselle. Jusqu'à la fin des années 1950, grâce aux avancées technologiques, l'entreprise se modernise tant pour ses unités d'extraction du calcaire en carrière (sondeuses, perforatrices, locotracteurs, élévateurs...) que pour son usine de production (fig.17) qui comptera jusqu'à 5 fours à partir de 1955.

Fig. 17 : Fours à chaux de Vaucouleurs (cliché non daté © Axsane 2005)

Les fours à chaux et la carrière cesseront toute activité en 1967 et l'usine de production sera détruite en 1980. Aujourd'hui ne subsistent de ce patrimoine industriel que les anciens bâtiments administratifs.

(1Note : La chaux sert de fondant et de purificateur dans l'industrie métallurgique. Elle est utilisée pour retirer certains éléments chimiques comme la silice, l'alumine, le phosphore et le soufre en favorisant la formation des laitiers qui emporteront ces impuretés - voir annexe scientifique).

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Remerciements

Les auteurs remercient chaleureusement Cédric Carpentier (CNRS - GéoRessources - Université de Lorraine) pour la relecture et l'aide précieuse apportées à ce travail.

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Références et compléments bibliographiques

CARPENTIER C. & LAUWERS A. (2018) - Information sur l'industrie de la chaux en Meuse suivie de l'histouire sédimentologique des calcaires oxfordiens exploités dans la carrière de Dugny-sur-Meuse (sud de Verdun). Bulletin inf. Géol. Bass. Paris, vol.55, n°3, pp.3-11.

CARPENTIER C. (2004) - Géométries et environnements de dépôt de l’Oxfordien de l’Est du Bassin de Paris. Minéralogie. Université Henri Poincaré - Nancy I, 2004 ; lien de consultation.

CARPENTIER C., LATHUILIÈRE B., FERRY S. et SAUSSE J. (2007) - Sequence stratigraphy and tectonosedimentary history of the Upper Jurassic of the Eastern Paris Basin (Lower and Middle Oxfordian, Northeastern France). Sedimentary Geology 197, pp.235-266.

CARPENTIER C., LATHUILIÈRE B. et FERRY S. (2010) - Sequential and climatic framework of the growth and demise of a carbonate platform: implications for the peritidal cycles (Late Jurassic, North-eastern France). Sedimentology 57, pp.985-1020.

LATHUILIÈRE B., CARPENTIER C., ANDRÉ G., DAGALLIER G., DURAND M., HANZO M., HUAULT V., HARMAND D., HIBSCH C., LE ROUX J., MALARTRE F., MARTIN-GARIN B. et NORI L. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine. Livret guide excursion Groupe français d’études du Jurassique, Nancy, 142 p.

OLIVIER N., CARPENTIER C., MARTIN-GARIN B., LATHUILIÈRE B., GAILLARD C., FERRY S., HANTZPERGUE P. et GEISTER J. (2004) - Coral-microbialite reefs in pure carbonate versus mixed carbonate-siliciclastic depositional environments: the example of the Pagny-sur-Meuse section (Upper Jurassic, northeastern France). Facies 50, pp. 229-255.

HUMBERT L. (1971) : Recherches méthodologiques pour la restitution de l’histoire bio-sédimentaire d’un bassin. L’ensemble carbonaté oxfordien de la partie orientale du bassin de Paris. Thèse de Doctorat, Université de Nancy, 364 p.

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STRASSER A., PITTET B., HILLGÄRTNER H. & PASQUIER J.B. (1999): Depositional sequences in shallow carbonatedominated sedimentary systems : concepts for high-resolution analysis. Sedimentary Geology, 128, 201-221.

Blog sur l'historique des fours à chaux de Vaucouleurs : http://www.axsane.fr/fours-a-chaux-de-vaucouleurs.html


Auteurs : Didier ZANY - Philippe MARTIN - Date de création : 08/09/2021 - Dernière modification : 27/03/2024

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