Depuis toujours les hommes se demandent ce qu’il y a après la mort. Une nouvelle vie ? Le paradis ? Ou les enfers ? Devenons-nous des âmes qui vagabondent dans le monde, ou sommes-nous juste voués à nous éteindre lentement comme notre corps. Eh bien c’est justement à ces questions que mon équipe et moi essayons de répondre. Je me présente, je m’appelle Louise Lefevre et cette histoire est celle de ma mort.
C’est arrivé un lundi de janvier, quoi de mieux pour débuter la nouvelle année. Comme chaque jour depuis 4 années, je rentrais dans mon labo, suivie de près par mon collègue et ami, John. Quatre ans que l’on travaillait sur la mort et son déroulement, 4 ans où l’on tirait à la courte paille pour savoir qui allait tester notre protocole pour voir ce qui se passait, au sein de notre esprit, après un arrêt cardiaque. Tout était enfin prêt, chaque matériel était à sa place, chaque scientifique connaissait exactement son rôle, tout comme je connaissais le mien… Le cobaye.
Je rentrais donc dans mon laboratoire, qui était sous ma responsabilité depuis que j’avais réussi à obtenir ce poste, quelque peu dangereux il est vrai. Il était 9h 36 précisément, et au lieu d’être paralysée à la vue du lit « d’opération » mon entrain ne fut que renforcé.« Prête ? me demanda John.
Plus que prête ! » m’exclamais-je.
Je m’allongeais alors sur mon lit de mort, déterminée à en découdre avec toutes mes interrogations. On m’accrocha tout un attirail de fils au corps, ainsi qu’une perfusion et une sorte de bonnet hermétique sur ma tête relié à des écrans pour observer les réactions de mon cerveau. On finit par me remettre un masque à oxygène. J’étais définitivement prête à mourir.« Tu es sûre que tu ne veux pas arrêter là, on comprendra si tu te refuses à cette expérience, me répéta mon collègue en se penchant vers moi.
Non, je ne vais certainement pas gâcher ces 4 années de recherches en stoppant là ; de toute manière, on a étudié toutes les complications potentielles avec les logiciels et il n’y a plus moyen que cela foire. Il ne va rien m’arriver, le rassurais-je quand je le vis sur le point d’en rajouter pour me dissuader. Il n’y a plus de retour en arrière possible John !
Il m’adressa un sourire crispé, puis se tourna pour lancer l’opération. Une fois à son poste, il demanda à chaque personnel de rejoindre sa place puis fixa son regard sur le mien.10, 9, 8, il commença le compte à rebours. J’entendais vaguement les appareils se mettre en route et les personnes se déplacer autour de moi.
4, 3, 2,
J’adressais un petit clin d’œil à mon ami avant de sentir une énorme douleur dans ma cage thoracique.
1… »
D’abord, je ne vis que le noir, mes paupières fermées ne laissèrent passer aucune lumière. Puis, en les ouvrant progressivement, un blanc violent me perça les rétines. Le monde autour de moi était entièrement blanc, un blanc immaculé, un blanc pur. Le blanc d’une robe de mariée, celui qu’on s’imagine lorsqu’on parle de la paix. Et effectivement, un calme immense m’envahit. Cela n’avait plus rien à voir avec la douleur extrême que j’avais ressentie quelques secondes auparavant. Ensuite, cette blancheur s’atténua quelque peu, laissant la place à un couloir infini toujours aussi clair. Au bout de celui-ci, je distinguais une porte d’un rouge écarlate. Une force invisible semblait m’ordonner d’aller vers elle, alors sans me poser plus de questions, je courus dans sa direction. Arrivée devant, je tendis la main vers la poignée, mais je découvris qu’il n’y en avait pas. Une inscription apparut soudain à cette même porte « quiconque entre n’en reviendra pas ». En voulant toucher l’écriture, la porte se désagrégea sous ma main, et dans mon élan je tombais vers le bas. Mes yeux se fermèrent automatiquement en attendant que ma chute cesse. Et lorsque je me sentis stable je les rouvris, et me retrouvai dans une grande forêt. Il faisait nuit, et seul le hululement d’une chouette résonnait dans les cieux noirs. Je la vis voler jusqu’à moi et se poser sur une branche au-dessus de mon épaule.
-« Que faites-vous ici, l’entendis-je me chuchoter
-Vous parlez ?
-Bien sûr que je parle ! s’exclama-t-elle, outrée, tu ne devrais pas être là jeune fille, se remit-elle à me murmurer.
-Et pourquoi donc, lui demandai-je.
-Parce qu’ils vont venir te chercher.
-Qui ça ? demandai-je en me retournant vers elle. »
Je la regardai jeter un regard vers les arbres dos à moi, puis revenir poser ses grands yeux sur mon visage en fronçant les sourcils. Elle s’envola alors, me laissant à nouveau seule, mais la brise me siffla son message : « Pars ! »
Sans comprendre vraiment ce qui m’arrivait, je me mis à courir à travers les bois dans la direction qu’avait prise cet oiseau nocturne. Plus je me rapprochai de l’orée de la forêt plus je distinguai ce qui me faisait face, un village, plus spécialement mon village natal. Décidément mon cerveau me jouait des tours, j’ignorai depuis combien de temps mon cœur avait arrêté de battre, mais mon système nerveux semblait vouloir me désorienter. Mes pas m’amenèrent jusque devant mon ancienne maison. Les murs étaient fissurés, plusieurs fenêtres cassées, cette vieille bâtisse n’avait plus rien à voir avec celle de mon enfance. Elle était vide. Et ce vide se répercuta en moi pour la première fois depuis ma mort. Je n’y avais même pas songé jusque-là, j’avais eu peur d’y songer. J’étais morte, j’étais remplie d’un calme aussi apaisant que dérangeant. Et mon corps me démangeait. Mais je ne pouvais pas me laisser distraire me rappelai-je à l’ordre. Aussi, je rentrai dans la maison. Tout était exactement comme dans mes souvenirs : bizarrement propre et rangé, et en jetant un coup d’œil aux fenêtres, je réalisai que celles-ci étaient de nouveau comme neuves. Sur mes gardes, je tendis l’oreille, me rappelant le message de l’oiseau nocturne. « Ils vont venir te chercher » m’avait-elle dit, mais ce « Ils » restait inconnu pour moi. Peut-être faisait-il référence à la Faucheuse. Mais dans ce cas, pourquoi parler de plusieurs personnes ? Laissant de côté mes questions, je pénétrai dans la salle à manger, ainsi que dans la buanderie ; tout était parfait, les étagères remplies de nourriture comme si cette maison était encore habitée, le carrelage semblait poli tellement il brillait. Cette ambiance d’absence mais de vie me mettait mal-à-l’aise. Je décidai finalement d’aller voir l’étage, ignorant ma répulsion à rester dans ce bâtiment. Celui-ci était lui aussi lavé et digne d’être présenté par un agent immobilier. Mais en rentrant dans la dernière pièce, je découvris ma chambre saccagée : la vitre de ma fenêtre avait éclaté en mille morceaux sur le sol, laissant un courant d’air froid s’engouffrer dans la pièce, la couverture de mon lit était déchirée et mise en boule sur celui-ci, mon étagère était au sol elle aussi, mes livres éparpillés autour d’elle, certaines pages volaient, d’autres gisaient sur le parquet. Tout était chamboulé. Un silence de mort régnait autour de moi, me laissant pantelante face au spectacle. Jusqu’à ce qu’un cri me réveille de ma transe. Je courus vers la fenêtre espérant voir la chouette de tout à l’heure, et la vis dans le ciel foncer jusqu’à moi. Elle se jeta sur moi et dans son élan nous fit tomber par terre.-« Es-tu une imbécile ? me questionna-t-elle en se perchant sur mon armoire.
-Pardon ? demandai-je, tout en me remettant debout.
-Je t’ai demandé si tu étais STUPIDE jeune fille, je te dis de partir et toi tu vas jusqu’ici ? Comment veux-tu que je te sauve maintenant ?! Elle ajouta à son reproche une vive morsure à mon doigt, qui me fit grimacer de douleur.
-Mais de qui vous parlez à la fin ? m’exclamai-je agacée, voyant la marque qui se formait déjà sur mon index.
-Des Détenteurs, dit-elle simplement.
-Hein ? demandai-je en relevant les yeux de ma blessure.
-DES DETENTEURS, répéta-t-elle plus fort, mon Dieu faut vraiment que je choisisse mieux à qui je viens en aide.
Face à mon air interloqué l’oiseau sembla retenir un rire.-Bon ma petite, si tu veux revenir à la vie il va falloir que tu fuies, ET LA OÚ JE TE DIRAI cette fois.
-D’accord, où ?
Mon interlocutrice ouvrit de grands yeux, surprise.
-Tu ne me demandes pas ce que je veux dire par « revenir à la vie » ?!
-Je suis morte, je le sais déjà. Il faut juste que je facilite la tâche à mes collègues afin qu’ils puissent me ramener. Si je continue à occuper mon esprit, mon cerveau ne s’arrêtera pas. Donc oui s’il vous plaît dites-moi où aller.
Un long silence s’étendit entre nous. Je l’interrogeai du regard et elle me répondit finalement,
-Bon, tu es vraiment un drôle de spécimen.
Elle vola jusqu’au rebord de la fenêtre et de son aile, pointa le soleil qui se levait.
-Fuis le plus loin de cette maison en suivant l’horizon. Si comme tu le prétends tes amis vont te ramener dans le monde des vivants, ils feraient mieux de se dépêcher car les Détenteurs laissent rarement des âmes rôder dans les limbes.
-Je suis dans les limbes ?
-Oui, enfin tu es dans TA version de celles-ci, c’est pourquoi on se retrouve dans ta maison.
-Et le fait que je parle à une chouette est-il aussi une création de mon esprit ?
-Eh bien non, je suis considérée comme un messager entre le monde physique et spirituel, destinée à conduire les âmes des morts. Mais parfois, j’en aide certaines à s’échapper.
-Et… »
Je n’eus pas le temps de poursuivre ma phrase que l’ambiance autour de nous devint plus sombre. Un vent froid claqua la porte de ma chambre et l’oiseau parlant me souffla de fuir. Elle jeta un regard par la vitre cassée, m’ordonnant silencieusement de sauter, ce que je fis. J’atterris sur les fesses en bondissant du 1er étage, et courus vers la même forêt d’où j’étais venue. Mes jambes me tiraient et mes foulées s’amenuisaient de mètres en mètres, je sentais mes genoux s’accrocher aux ronces du bois et ma respiration saccadée ne me disait rien qui vaille. Je m’enfonçais plus profondément dans le sol à chaque pas, ralentissant inexorablement. Le chant lugubre d’une chouette me parvenait de loin, mais je n’osai pas regarder en arrière. La terreur qui s’était emparée de moi quelques instants plus tôt me guidait à travers la végétation. Je n’avais jamais ressenti ça, c’était comme si mon esprit me criait au danger. La forêt me semblait infinie, et dans un manque d’attention, une de mes jambes se prit dans une racine et je tombai. Ma tête frappa violemment contre la terre. J’étais trop épuisée, je voulais juste me réveiller. Je renonçais à me relever en fermant mes paupières.
Je rouvris les yeux et la clarté de l’endroit où je me trouvais m’éblouit.
-« Lou, tu m’entends ? Le visage de Jon entra dans mon champ de vision.
Je me relevai de moi-même sur le lit, et observai la pièce autour de moi. Tout le monde m’observait, émerveillé. Mon collègue, quant à lui, m’adressait un regard fier.
-On a réussi, poursuivit-il en posant une main qui se voulait réconfortante dans mon dos. Il faut juste qu’on teste tes aptitudes et tes sens pour vérifier s’il n’y a pas d’anomalie.
Je continuai de le regarder, dans une sorte d’état de choc, je ne me sentai pas vraiment à ma place. Comme si j’avais passé trop de temps dans les limbes pour en revenir.-Lou tout va bien ? Pourquoi tu ne parles pas ?
-Je… je… il ne me laissa pas la chance de finir.
-Oui, c’est normal tu es en état de choc, mais tout va bien, on a regardé tes constantes et tu n’as aucune incohérence. Il va falloir que tu te lèves pour qu’on puisse aller t’examiner.
-Oui… » C’est tout ce que je réussis à lui répondre.
Comment lui dire qu’il y avait un problème, il avait l’air si heureux d’être parvenu jusque-là. Il m’aida à descendre du lit mais au moment où mes pieds touchèrent le carrelage je me sentis partir et m’écroulai.
En rouvrant les yeux j’étais à nouveau dans cette maudite forêt. Cependant je n’étais plus seule. Trois silhouettes floues et noires me surplombaient, en ouvrant plus grand les yeux je vis la chouette posée sur l’épaule de l’une d’elles.-« Désolée, tu n’as pas été assez rapide demoiselle. Dit-elle en souriant tristement.
-Il n’y a pas de quoi craindre la mort, dit la silhouette du milieu d’une voix gutturale. Le plus dur est passé, ajouta-t-il en me tendant la main. Malgré le flou de ses formes je distinguai un semblant de sourire poli à travers son « visage ».
-Tu es restée trop longtemps dans les limbes pour repartir, ajouta le détenteur de gauche, mais crois-moi, il n’y a rien d’effrayant dans le monde des morts.
-Donc c’est juste fini ?
-Tu ne peux plus repartir.
-Même si tu y arrivais, tu serais destinée à mourir, ajouta la chouette.
-Vous m’avez dit que les limbes sont un monde qui est propre à moi, est-ce que vous êtes représentés comme des ombres pour une raison particulière ou est-ce que c’est juste votre forme naturelle ? les questionnai-je, poussée par la curiosité.
-Nous changeons d’aspects en fonction des âmes. Nous nous transformons en la chose qui les terrifie le plus. L’inconnu est sûrement votre plus grande peur » me répondit-il.
Je n’eus pas le temps de nier, que ma tête se mit à tourner, sans même m’en rendre compte je me retrouvai à nouveau couchée au sol, et je plongeai dans le noir.
Je me réveillai de force, des griffes entravaient mon esprit, semblant vouloir me retenir, m’emmener à elles. Mais en ouvrant les yeux, je ne vis que Jonathan penché au-dessus de mon corps que je ne sentais plus. Il me murmurait sans s’arrêter des choses que je ne parvenais pas à comprendre. Enfin non, il semblait me crier dessus tout en criant sur les autres personnes autour qui s’activaient dans la salle. Parmi toute cette cohue je ne comprenais plus ce qui se passait, mais je parvins tout de même à formuler une phrase.
-« On a réussi, murmurais-je, mais c’est fini, je ne peux plus repartir, je suis destinée à mourir John.
-Qu’est-ce que tu racontes, tu es en train de délirer Lou, ça va aller, reste avec moi, on avait envisagé toutes les complications possibles, on a réussi et tu vas continuer à vivre. »
J’entendais vaguement John hurler de l’aider, de m’aider moi, lorsque mes paupières se fermèrent d’elles-mêmes.
Je sentis une main me secouer doucement l’épaule. J’ouvris alors les yeux, sortant de ma torpeur, et réalisai que j’étais affalée sur mon canapé face au visage de mon colocataire John qui m’observait, retenant son sourire moqueur. Il parla le premier :
-« Tu parlais en dormant, tu racontais de drôles de choses d’ailleurs ! dit-il en pouffant de rire.
-Ah oui ? Et quel était le sujet de mon monologue pour que je t’amuse autant ?! demandai-je en me frottant les yeux.
-Des délires de vie après la mort, des limbes et de je ne sais quoi.
Je restais muette face à ses explications, lui ne cessait de me regarder en gloussant. Je lui donnais une chiquenaude sur le nez pour le faire taire, et me tournant vers la télé, voyais qu’il était déjà 9h 36 du matin. L’écran plat affichait aussi mon film préféré : L’expérience interdite, mis sur pause. Je marmonnais quelques mots dans ma barbe, me sermonnant de m’être endormie en regardant un écran car étant en études de médecine je ne pouvais pas me permettre ce genre de choses et me retournai à nouveau vers John qui me fixait toujours, rieur.
-Ça ne serait pas la 16 -ème fois que tu le regardes Loulou ? plaisanta-t-il
-Mais non qu’est-ce que tu racontes, je ne suis pas aussi addict. » démentis-je,
John leva les yeux au ciel et se dirigea vers la cuisine pour me préparer un café car d’après lui j’avais une mine affreuse. Moi, j’essayai tant bien que mal de me rappeler de quoi j’avais bien pu rêver, sans succès… Je sentis un pincement venant de mon doigt et en le regardant je découvris une marque triangulaire, comme si un oiseau m’avait mordue. Tout m’avait paru bien trop réel…
De Clémence Thiry