« N’oubliez pas que cela fut »

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« Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connait pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas:
Gravez ces mots dans votre coeur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s’écroule;
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous. »

A une semaine de la date anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, le 27 janvier, tous les élèves de premières et terminales sont allés voir l’interprétation de « Si c’est un homme » de Primo Levi par Philippe Spillmann. 500 élèves qui, pour la plupart, ont découvert le calvaire quotidien d’un jeune homme dans un camp en Pologne : le froid, la faim, la peur, la mort, l’humiliation…

Du récit à l’adaptation pour la scène : Puisqu’il faut lire, mais aussi entendre ce texte, le comédien dit sur scène des passages tirés du texte original, qui enchaînent les moments essentiels de ces 11 mois, depuis l’arrestation de Primo Levi jusqu’à la libération du camp d’Auschwitz. Certains passages sont lus, d’autres sont dits par cœur, pour une adresse directe au spectateur qui retrouvera les scènes et les évènements essentiels qui permettent de comprendre ce que l’auteur a vécu et a restitué dans son récit.

Quelques réactions du public :

« Captivant dès les premières lignes du texte. Vous êtes seul sur scène mais vous occupez tout l’espace avec votre charisme et votre voix. Je suis admirative de votre travail puisque vous êtes allé au delà du par coeur, vous avez fait vivre le texte jusqu’à me faire frissonner. » Claire

 » Nous les jeunes on se fait assommer par la seconde guerre mondiale. Evidemment je ne remets pas en question ni son importance ni sa terreur. Il est important d’en parler mais elle est devenue linéaire, caractérisée par un nombre de morts trop important. Grâce à vous, et peut-être mieux qu’en lisant le livre, l’histoire devient plus réelle, plus palpable. Excepté peut-être une sortie scolaire dans un camp, je ne m’étais jamais imaginé une telle horreur. » Léa

A la fin des deux représentations il y a eu un échange entre les élèves et le comédien. En voici quelques extraits. Petite anecdote : Philippe Spillmann a été élève au lycée Callot à la fin des années 70.

♦ Avez-vous repris le texte intégral ? Ce n’est pas une adaptation mais une série d’extraits pour pouvoir donner l’essentiel du récit.

♦ Pourquoi vous pleurez à la fin de la pièce ? les larmes sont venues, pendant les répétitions;, peut-être parce que j’ai évoqué cet instituteur. L’émotion est arrivée et j’ai décidé de la garder sur scène. D’une représentation à l’autre cela n’arrive pas toujours au même moment.

♦ Pourquoi n’utilisez-vous pas un costume de déporté sur scène ? je lis le livre et je le passe au spectateur. C’est moi, Philippe Spillmann qui raconte l’histoire et on a décidé de ne pas jouer physiquement le déporté, juste de passer le livre.

♦ Pourquoi avez-vous choisi ces photos ? Elles s’adressent essentiellement aux publics jeunes, ce sont quelques images d’archives pour renforcer le sens du texte, tirées d’un album édité par les survivants, des photos prises par les SS et les armées soviétiques, françaises…

♦ Pourquoi avoir choisi cette bande-son ? La première musique avant que j’entre en scène est une musique traditionnelle italienne, elle est entraînante car c’est juste avant l’arrestation, puis il y a de la musique traditionnelle yiddish, un air de Rosamunda, à la mode dans les années 40, et vers la fin il y a des bruitages pour donner un sentiment de malaise. Puis, il y a la 7e symphonie de Beethoven (pendant le siège de Sarajevo, des jeunes musiciens jouaient cet air sous les bombes et cela m’a marqué. Thème qui porte le drame et l’espoir.)

♦ Combien de temps pour apprendre votre texte ? Il y a 2 ans de travail. Une année pendant laquelle j’ai beaucoup lu sur cette période et 6 mois pour apprendre le texte (45 pages dactylographiées). Les quinze premières pages étaient difficiles à fixer alors que, pour les quinze dernières, j’apprenais une page par jour. C’est un message pour vous,lycéens, plus on apprend plus c’est facile.

♦ Est-ce la seule pièce que vous jouez ? Non, je joue cette pièce depuis 2005, 5/6 fois par an. J’ai joué d’autres pièces( « La pluie d’été » de Marguerite Duras) et je me tourne aussi vers la poésie. J’ai différents projets.

♦ Etes-vous bénévole ? Oui, je suis comédien amateur et enseignant référent pour les élèves handicapés. Je ne gagne pas d’argent, le cachet demandé est pour les frais de l’association (matériel).

♦ Etes-vous stressé avant de jouer ? Pas vraiment. J’essaie de me concentrer au maximum. Ce qui me gêne, ce sont les bruits, une porte qui claque, le vibreur d’un portable, car j’ai peur de sortir du texte, j’entends tout et je peux perdre en sincérité.

♦ Comment avez-vous préparé le spectacle d’aujourd’hui ? On a déjà installé le décor hier matin puis j’ai fait un filage complet : j’ai joué le spectacle en entier et adapté le déplacement sur la scène.

♦ Pourquoi ce thème de la déportation ? je fais du théâtre depuis 30 ans, je jouais beaucoup de comédie et j’avais envie d’aller vers autre chose. Je suis également militant engagé contre le racisme et l’antisémitisme.Et puis en 2000 il y a eu beaucoup d’actes antisémite et Le Pen est arrivé au second tour de l’élection présidentielle de 2002. je devais concilier ma passion du théâtre, mes convictions et mon métier d’instituteur. J’avais aussi lu Primo Levi et je voulais le transmettre.

♦ Pourquoi les survivants sont restés encore 10 jours après le départ des SS ? Ils n’ont plus de force, ils préfèrent attendre la mort (ils sont dans un double état d’esprit).

♦ Quels sont vos sentiments  et comment arrivez-vous à vous délivrer du personnage ? Je suis fatigué mais quand je sens que le message est passé, j’ai un sentiment de satisfaction.

Pour finir, Dahlia, en première S a tenu à remercier sincèrement l’acteur et lui certifier qu’il avait réussi à faire passer beaucoup d’émotions.