Prix Nobel de Physique 2025

À Stockholm le 8 octobre 2025, l’Académie royale des sciences de Suède a annoncé l’attribution du prix Nobel de physique 2025 à trois pionniers de la physique quantique : le Français Michel Devoret, l’Américain John Clarke et l’Américain John Martinis. Leur travail fondamental sur les circuits supraconducteurs et les qubits a pavé la voie pour l’informatique quantique, une technologie promise à transformer la science, la médecine et l’industrie. Le prix, doté de 11 millions de couronnes suédoises (environ 1 million d’euros), sera partagé équitablement entre les lauréats.

Des Fondations Quantiques pour un Avenir Connecté

Dans un communiqué officiel, le comité Nobel a salué leurs « contributions décisives au développement de l’électronique quantique via des circuits supraconducteurs ». Ces avancées permettent de manipuler des états quantiques à l’échelle microscopique, essentiels pour créer des ordinateurs quantiques capables de résoudre des problèmes insurmontables pour les machines classiques, comme la simulation de molécules complexes ou l’optimisation de réseaux logistiques.

Michel Devoret, 73 ans, professeur à l’Université Yale (États-Unis) et ancien chercheur au CEA Saclay en France, est reconnu pour ses travaux pionniers sur les jonctions Josephson – des dispositifs supraconducteurs ultra-sensibles qui transductent les phénomènes quantiques en signaux électriques mesurables. Né à Versailles en 1951, Devoret a débuté sa carrière à l’École normale supérieure de Paris avant de rejoindre Yale en 1990. Ses expériences des années 1980-1990 ont démontré comment ces jonctions pouvaient servir de « qubits », l’unité de base de l’information quantique, en capturant des électrons dans des états superposés. « C’est comme transformer un interrupteur électrique en un dé quantique à six faces », a-t-il expliqué lors d’une conférence TED en 2018.

John Clarke, 80 ans, émérite à l’Université de Californie à Berkeley, complète ce trio par ses innovations en détection quantique. Britannique d’origine, Clarke a immigré aux États-Unis dans les années 1960 et a dirigé le département de physique appliquée de Berkeley pendant des décennies. Ses recherches sur les SQUIDs (Superconducting Quantum Interference Devices), des capteurs magnétiques supraconducteurs basés sur les jonctions Josephson, ont révolutionné la mesure de champs faibles. Inventés dans les années 1970, les SQUIDs sont aujourd’hui utilisés en IRM médicale, en géophysique et même en archéologie pour détecter des artefacts enfouis. Clarke, qui a collaboré étroitement avec Devoret, a reçu de nombreux prix, dont la médaille Dirac en 2005.

John Martinis, 68 ans, professeur à l’Université de Santa Barbara (Californie), apporte l’aspect le plus applicatif avec ses travaux sur les processeurs quantiques supraconducteurs. Ancien doctorant de Clarke à Berkeley, Martinis a rejoint Google en 2014 pour diriger leur équipe quantique. Ses contributions incluent la stabilisation des qubits contre le bruit quantique – un défi majeur, car les états superposés sont extrêmement fragiles. En 2019, sous sa direction, Google a annoncé la « suprématie quantique » avec son ordinateur Sycamore, qui a effectué en 200 secondes un calcul impossible pour le superordinateur le plus puissant en 10 000 ans. Bien que controversée, cette percée a validé les fondements théoriques posés par les trois lauréats.

Un Impact qui Repousse les Limites de la Physique

Leur collaboration interdisciplinaire, souvent qualifiée de « synergie transatlantique », remonte aux années 1980, lorsque Devoret et Clarke ont fusionné leurs expertises sur les jonctions Josephson. Ces dispositifs exploitent la supraconductivité – un état où l’électricité circule sans résistance à très basse température (proche du zéro absolu) – pour créer des circuits qui « pensent » comme les atomes. Martinis a ensuite traduit cela en architectures scalables, rendant l’informatique quantique viable.

Aujourd’hui, leurs idées sous-tendent les efforts mondiaux : IBM, Rigetti et d’autres entreprises commercialisent des puces quantiques basées sur ces principes. En médecine, cela pourrait accélérer la découverte de médicaments ; en énergie, optimiser les réseaux électriques ; en cryptographie, briser les codes actuels tout en en inventant de nouveaux. « Leur travail nous rapproche d’une ère où les quantiques résoudront les grands mystères de l’univers », a déclaré le secrétaire du comité Nobel, Thors Hans Hansson.

Des Carrières Marquées par l’Innovation et la Persévérance

Les trois scientifiques ont surmonté des décennies de scepticisme. Dans les années 1970, l’idée de manipuler des qubits semblait de la science-fiction ; les premiers prototypes étaient instables et bruyants. Devoret, souvent décrit comme un « artisan de l’invisible », a passé des années à perfectionner les mesures à l’échelle d’un seul photon ou électron. Clarke, avec son accent britannique persistant, a fondé des laboratoires qui ont formé des générations de chercheurs. Martinis, plus orienté industrie, a quitté Google en 2023 pour se concentrer sur l’éducation, soulignant que « la quantique n’est plus un rêve, mais un outil ».

Leur prix s’inscrit dans une lignée récente de Nobel « quantiques » : en 2022, pour l’intrication quantique (Aspect, Clauser, Zeilinger) ; en 2023, pour les gaz atomiques (Baranov, Esslinger, et al.). À 2025, il souligne l’accélération vers des applications pratiques, alors que la concurrence sino-américaine s’intensifie dans ce domaine.

La cérémonie de remise des prix aura lieu le 10 décembre à Stockholm. Michel Devoret, joint par téléphone depuis New Haven, a réagi avec modestie : « C’est une reconnaissance pour toute une communauté. Le vrai Nobel, c’est l’impact sur l’humanité. » Une ère quantique s’ouvre, et ces trois visionnaires en sont les architectes.

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