Espaces solidaires et participatifs :
quelques termes et réflexions
(TraAM Documentation 2017-2018)
1. Quelques termes liés aux espaces solidaires, créatifs et collaboratifs :
Si un Commun peut être numérique (comme Wikipedia par exemple), il peut être également physique, matérialisé dans un lieu co-géré par ses usagers (un jardin collectif, un makerspace…). Le lieu entier et ce qui y est proposé devient alors l’objet collectif. On peut imaginer qu’une implication forte dans un Commun va favoriser une appropriation par les usagers et une évolution constante du lieu à leurs besoins.
Fablab : Les fablabs sont des ateliers de fabrication numérique, ouverts à tous, dans lesquels chacun peut proto-typer et fabriquer ce qu’il souhaite, tout en bénéficiant de l’aide et des conseils des autres personnes. Le principe de base est la mutualisation des outils, machines, matériels et ressources au service de tous, dans un esprit de collaboration et d’ouverture. Les Fablabs cherchent à favoriser l’acquisition et la transmission des savoirs par le faire soi-même, l’échange entre les usagers et le partage d’expérience : l’association « réseau français des Fablabs » définit les principes des fablabs ainsi : « Apprendre, fabriquer, partager, et contribuer à changer le monde ».
Les Fablabs sont organisés en réseau : afin de porter l’appellation de « FabLab », la structure doit entre autres respecter la charte des FabLab, mise en place par le MIT et actualisée en 2012.
L’association “Réseau Français des Fablabs” :http://www.fablab.fr/
La charte originelle en anglais : http://fab.cba.mit.edu/about/charter/
Le fablab de Nancy :http://nybi.cc/
Le projet Fabulis à Sarreguemines :http://eduscol.education.fr/experitheque/consultFicheIndex.php?idFiche=12904
Pour en savoir plus :
http://www.enssib.fr/le-dictionnaire/idea-store
https://fr.wikipedia.org/wiki/Idea_Store
La stratégie des idea stores de Londres :http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2008-01-0069-013
Très proche d’un fablab, le makerspace s’affranchit de la charte du fablab au sens strict, et de certaines contraintes inhérentes au réseau mondial officiel des Fablabs. Néanmoins, le terme makerspace est souvent utilisé comme un synonyme au terme Fablab, car leurs objectifs et leurs modes de fonctionnement sont similaires.
5 points à prendre en compte avant d’envisager un makerspace en bibliothèque : http://biblionumericus.fr/2015/08/27/guide-pour-construire-un-makerspace-dans-une-bibliotheque/
RepairCafé : Le « Repair café » est plus une activité qu’un lieu : ce sont généralement des bénévoles, membres d’associations, qui proposent de l’aide pour apprendre à réparer des objets du quotidien. La motivation première des acteurs de ces initiatives est généralement la lutte contre l’obsolescence programmée.
Ces espaces sont des espaces de rencontre et d’échanges de savoir-faire qui peuvent se faire dans des MJC ou autres tiers-lieux.
L’exemple d’une MJC à Nancy : http://www.mjclorraine.com/activites-repair-cafe-96.php
Témoignages complémentaires :http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/10/01/dans-un-repair-cafe-avec-les-benevoles-qui-redonnent-vie-aux-objets-casses_5194495_4408996.html
Pour en savoir plus (explications et exemples de tiers-lieux) :http://recherche-action.fr/tierslieunomade/2017/04/07/les-tiers-lieux-espaces-demergence-et-de-creativite/
2. Quelques exemples mêlant différents types d’espaces cités ci-dessus :
3. Les points communs de ces espaces solidaires et participatifs :
Qu’il s’agisse des Tiers-lieux, des Fablabs, des idea stores, des CDI et du concept des 3C, ou de la philosophie des Communs, on retrouve des objectifs très proches :
– un objectif d’apprentissage : chacun de ses espaces visent à développer des savoirs, savoirs-faire, savoirs-être chez leurs usagers.
– un objectif de sociabilité : tous ces lieux se donnent également comme mission de créer du lien et des rapprochements entre les gens, en cherchant à faire communauté.
– un objectif d’alternative : initialement la création de ces lieux répondaient pour la plupart à un besoin de pallier un manque, d’être une alternative à des systèmes établis (la logique économique capitaliste, l’obsolescence programmée, la rigidité du système éducatif, la fracture numérique, le délitement du lien social, etc…).
Ces différents objectifs communs mettent en évidence les valeurs que tous ces lieux et concepts partagent également :
– L’émancipation : permettre à ses usagers d’accéder (au sens large) aux éléments de culture dont ils ont besoin ou envie, et de s’approprier personnellement ces éléments pour devenir autonome, participe de l’idée de l’émancipation de l’humain par la connaissance.
– L’ouverture : la philosophie affirmée des lieux cités est de favoriser la diversité des publics et des modes de travail : être ouvert, c’est laisser de la place à l’informel et l’imprévu en étant attentif à ce qui se passe, c’est permettre à chacun d’exprimer ce qu’il est sans avoir à suivre un modèle établi, et être réceptif aux propositions des autres. L’ouverture, au-delà du principe moral d’acceptation de tous et de chacun dans sa spécificité, est un état d’esprit qui favorise la créativité et l’innovation.
– Le partage : la volonté d’élargir son public et de mettre à disposition les outils, ressources, savoirs à la portée de tous est prégnante dans chacun de ces espaces. Si cette idée est évidemment liée au concept d’émancipation ci-dessus, elle va plus loin car il ne s’agit plus seulement d’une émancipation individuelle, mais d’une émancipation de la communauté toute entière.
Ces valeurs d’émancipation, d’ouverture et de partage, lorsqu’elles sont associées, amènent au concept global de liberté individuelle et collective. Cette notion de liberté est généralement très importante pour les communautés fréquentant et animant les différents lieux cités.
En pratique, les Tiers-lieux, les Fablabs, les idea stores, ou les Communs, partagent des démarches et méthodes en corrélation à ces valeurs et objectifs :
– Apprendre en faisant : l’idée est issue notamment du mouvement des Makers : on apprend en créant, en expérimentant, en tâtonnant. Ces lieux s’attachent donc à faciliter les productions de réalisations concrètes.
– Faire soi-même : le DIY (« Do it yourself ») s’est énormément développé, notamment grâce à Internet et aux réseaux sociaux, qui fourmillent de tutos et de photos de créations personnelles. Les lieux participatifs cités, en particulier les fablabs, repaircafés et makerspace, sont basés sur cette idée. On apprend et on construit par soi-même, en autonomie.
– Horizontalité et échanges entre pairs : apprendre et faire en autonomie ne veut pas dire apprendre et faire seul. Mais dans les lieux cités, les interactions sont horizontales : on privilégie les échanges entre pairs, et on refuse généralement tout système hiérarchique. La collaboration et la coopération se construisent dans un système d’entraide basé sur l’expérience. Et si quelqu’un se retrouve plutôt dans un rôle d’expert, c’est parce que la communauté elle-même a reconnu ses compétences et le sollicite de fait plus que d’autres, pas parce « qu’il en a été décidé ainsi ».
– Ambiance sympathique et ludique : le cadre est très important dans tous les lieux cités. Les espaces et mobiliers doivent produire une ambiance propice à la confiance et au bien-être, et qui soit également stimulante et incitative aux échanges. Par exemple, certains espaces vont privilégier un joyeux « bric-à-brac », d’autres un mobilier très esthétique, « design » et « fun ».
– Adaptation aux besoins et envies des usagers : ceci est certainement un des points les plus importants. Chaque Fablab, chaque Tiers-Lieu, chaque makerspace ne ressemble pas à son voisin et ne propose pas les mêmes services. Ces lieux sont très fortement ancrés dans leur territoire, et évoluent sans cesse en fonction de leurs usagers : ce sont finalement ces derniers qui décident de ce que sera leur fablab, leur makerspace, etc.
– Co-gestion et mutualisation : en corollaire du point précédent, ce qui distingue ces lieux d’autres lieux de culture, c’est leur gestion collective, basée sur l’idée des Communs. En fonction du lieu, les usagers participent ou ont totalement la main sur l’organisation et l’animation du lieu, et de ce qui s’y trouve.
La notion de communauté est une base commune à ces lieux participatifs :
Finalement, la démarche centrale qui concentre peut-être toutes les autres citées ci-dessus, est le renforcement constant de la communauté : même si les usagers de ces lieux ne sont pas tous des habitués et peuvent être des usagers ponctuels (ou ne s’impliquent pas beaucoup personnellement dans le lieu), on cherche surtout à créer une communauté, puis à développer le sentiment d’appartenance au groupe, pour différentes raisons : on espère que cela renforce le lien social, la responsabilisation des usagers, le développement de compétences psycho-sociales, l’impact et la visibilité du lieu dans son territoire, le sentiment de liberté, la créativité et l’innovation, et l’adaptation aux besoins des usagers.
Pour aller plus loin, cette idée de communauté agissante fait écho aux concepts « d’intelligence collective » et de « société apprenante ». On peut également ajouter que cette attention à la notion de communauté s’est développée en miroir des usages numériques actuels : l’impact des réseaux sociaux et les facilités de communication, de production et de travail collaboratif offertes par le numérique ont impulsé de nouvelles façon de faire et de s’organiser, qui rendent obsolètes, frustrantes et/ou moins efficaces les modes de travail traditionnels, verticaux, fermés et procéduraux. Les apprentissages à développer ont donc également changé : il est plus important aujourd’hui d’apprendre à ses usagers (en particulier nos élèves) des compétences telles que l’adaptabilité, la créativité, le travail en équipe, la communication, pour leur permettre d’intégrer plus facilement le marché du travail, et d’avoir une vie sociale et citoyenne plus active et stimulante.
Vis-à-vis des CDI/3C et de la thématique des Traam Documentation concernant la redéfinition des espaces au sein des établissements scolaires, il est certainement intéressant de s’inspirer plus en profondeur des différents objectifs, valeurs et démarches de tous ces lieux solidaires.
Cela n’est pas une révolution, car la plupart des concepts ci-dessus étaient déjà plus ou moins présents dans la façon dont les CDI ont évolué ces dernières décennies. Mais il s’agit certainement de développer l’implication de toute la communauté éducative dans l’évolution du CDI et des autres lieux de vie de l’établissement, dans un esprit de solidarité plus poussé : les espaces d’apprentissage à destination des élèves doivent être des espaces de partage, d’entraide et d’interdépendance où l’on mutualise, échange, coopère, s’entraide, se prend en charge, partage les responsabilités.
Il s’agit donc également de penser différemment l’organisation de nos espaces physiques et virtuels, en redéfinissant les objectifs qu’on leur donne, travailler plus avant sur la notion de « lieu de vie sociale », tout en n’oubliant pas que les espaces du CDI sont didactisés, organisés de façon à faciliter les apprentissages et développer des compétences chez nos élèves. A ce sujet, le concept « d’environnement capacitant » est éclairant.
4. La notion d’environnement capacitant :
Pierre Falzon et Solveig Fernagu Oudet ont défini les environnements capacitants, comme “un environnement qui permet aux personnes de développer de nouvelles compétences et connaissances, d’élargir leurs possibilités d’action, leur degré de contrôle sur leur tâche et sur la manière dont ils la réalisent, c’est-à-dire leur autonomie” (Falzon, 2005). Ce sont des environnements “favorables au développement du pouvoir d’agir des individus”, en offrant un “champ des possibles” dont l’individu va s’emparer ou non.
” Du point de vue préventif, c’est un environnement non délétère pour l’individu, qui préserve les capacités futures d’action […] . Du point de vue universel, c’est un environnement qui prend en compte les différences interindividuelles […]. Il favorise l’intégration, l’inclusion et la reconnaissance sociale. Du point de vue développemental, c’est un environnement qui permet le développement de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs, et l’élargissement des possibilités d’action et du degré de contrôle sur la tâche et sur l’activité […] .”(Falzon, 2005)
“Suivant cette logique, dynamiser les environnements de travail pour les rendre capacitants, consiste à aider les individus à mobiliser et utiliser les ressources qui sont à leur disposition et pas seulement les mettre à disposition […] en intervenant notamment :
– Sur les contenus du travail : en donnant la possibilité de varier les tâches confiées et les activités conduites, de se confronter à des situations inédites, de travailler sur les situations rencontrées, les événements, les aléas, les imprévus, de leur donner du sens, etc.
– Sur les modes d’organisation du travail : en offrant la possibilité de travailler en binôme, de tutorer de nouveaux arrivants, de participer à des groupes de travail, de réaliser des rotations sur poste ou d’équipe, de visiter des entreprises clientes ou fournisseurs, etc.
– Sur la gestion des ressources humaines : en permettant d’accéder aux savoirs et aux connaissances dont ils ont besoin (formations), en donnant accès au marché interne du travail, etc.”
” [Les environnements capacitants] se présentent comme des situations potentielles d’apprentissage dans lesquelles s’engagent, ou non, les individus. Et si l’on peut parler de situations potentielles d’apprentissage, sans doute y-a-t-il lieu de parler de potentiel capacitant des environnements de travail. En effet, selon cette logique, on ne peut pas, par exemple, demander à des individus de faire preuve d’autonomie et de responsabilité sans que soient aménagés des espaces où ils peuvent exercer ces qualités. On ne peut pas non plus attendre d’eux de faire preuve d’esprit d’équipe si ne leur sont pas proposées des situations de travail collaboratives ou coopératives, au cours desquelles ils peuvent construire leur capacité à travailler en équipe.”