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A-M. Venner, « Les jeux paradoxaux sont-ils socialisants ? : penser d’autres dispositifs éducatifs pour apprendre à vivre ensemble à partir de l’E.P.S à l’école primaire. »
Article mis en ligne le 25 juin 2014

par CASNAV CAREP Nancy-Metz

Par Anne-Marie Venner, professeure d’EPS à l’IUFM de Lorraine, 7 décembre 2005.

Anne-Marie Venner a publié 2 ouvrages : La danse créative aux cycles 1 et 2, Paris, Armand Colin, coll. « Pratique pédagogique »,1998 ; 40 jeux pour l’expression corporelle à l’école, Paris, Retz, coll. « Pédagogie pratique », 1991.

Texte intégral de la conférence

J’ai construit mon intervention de la manière suivante, mais ceux qui me connaissent peuvent aussi vous dire que je suis très bavarde et que je me tiens rarement à ce que j’ai annoncé. En tout cas voilà la manière dont je l’ai préparée :
- Dans un premier point je souhaiterais expliquer pourquoi et comment cette question s’est posée, j’essaierai de mettre en évidence le cheminement qui m’a amené à travailler sur le sujet.
- Dans un second point, je définirai les jeux paradoxaux et leur contribution à la socialisation.
- Dans un dernier point, je détaillerai le dispositif éducatif mis en place avec des enfants de cycle trois et vous ferai part des remarques et intérêts de cette recherche.

Pourquoi cette question ?

Depuis plusieurs années les jeux paradoxaux m’intéressaient. Ces jeux occupent une place particulière dans la sphère des jeux traditionnels. Avant 1982, date de ma nomination à l’Ecole normale de Metz (eh oui le temps passe !), j’avais enseigné en collège, lycées classique et professionnel et déjà je faisais des interventions à l’école primaire. J’avais été particulièrement étonnée de constater l’investissement dans des jeux tels que la balle assise que je proposais aux CAP et BEP. Ce jeu suscitait un engouement que les jeux collectifs ne suscitaient pas et pourtant, à l’époque j’étais entraîneur de basket-ball en club. Quand, la veille des vacances scolaires, je leur demandais ce qu’il voulait faire c’était immanquablement la balle assise ! Les discussions avec les jeunes, en parallèle, faisaient apparaître déjà une certaine difficulté à cohabiter, à vivre ensemble, les sections techniques ayant du mal à trouver leur place par rapport aux sections dites classiques. J’étais partie avec beaucoup de questions et la volonté de tirer cet intérêt plus au clair et de l’associer d’une quelconque manière à une réflexion. Les modalités de ce travail restaient très floues à ce moment et elles le sont restées bien longtemps ! A mon arrivée en Lorraine, j’ai très vite eu envie de proposer ces fameux jeux. Avec la mise en place des ateliers philosophiques à l’école primaire de Jacques Lévine, psychanalyste, et Annick Perrin, professeur de philosophie à l’IUFM de Bonneuil, les ouvrages de Michel Tozzi sur la pensée réflexive, j’ai pensé tenir mon fil d’Ariane : les jeux paradoxaux me semblaient particulièrement pertinents pour engager et développer une certaine réflexion philosophique. « C’est pas juste, c’est de la triche, c’est toujours lui qui commande… ». Certaines notions semblaient se dégager des différentes remarques que j’entendais : le pouvoir, la liberté, la justice, l’égalité qui s’est prolongée dans l’équité, les rapports garçons-filles qui se sont aussi imposés rapidement.

Définitions

Pierre Parlebas a défini ces jeux comme étant « des jeux sportifs dont les règles de pratique entraînent des inter-actions motrices affectées d’ambiguïté et d’ambivalence, débouchant sur des effets contradictoires et irrationnels » (Contribution à un lexique commenté en science de l’action motrice, INSEP). Cette dynamique paradoxale découle du réseau de communications motrices qui est un élément de la logique interne d’un jeu. Le choix libre des partenaires et adversaires au cours du jeu de la balle assise et ceci tout au cours de la partie, les brusques revirements de situation suscitent des séquences relationnelles contradictoires qui déconcertent les joueurs en les plaçant dans un incessant va et vient d’antagonisme- coopération. Ce paradoxe affectif que nous appelons (mon collègue Demey et moi) « je t’aime, moi non plus » déclenche des conflits, engendre des frustrations pas toujours aisées à canaliser. Alors pourquoi jouer avec le feu ? Malgré et à cause de ces effets, il m’a semblé pertinent de continuer à proposer ces jeux qui passionnaient les enfants. Le duel habituel des sports collectifs, de deux blocs clairement identifiés qui s’affrontaient, sous l’œil vigilant d’arbitres gardiens de la loi était dépassé. Les conflits visibles, lisibles dans les jeux paradoxaux étaient laissés aux acteurs qui devaient trouver un accord pour poursuivre le jeu. La caractéristique de ces jeux est justement d’être inarbitrable, ma participation se limitait à aménager les temps de repos dans des parties endiablées et quand même, lorsque les tensions bloquaient le jeu, d’intervenir en ultime recours ! La plupart du temps, régnait une sorte de cogestion.

La notion de paradoxe présente dans les jeux nommés est à rapprocher du paradoxe abordé par Bateson et l’école de Palo Alto avec la notion de « double bind » ou double contrainte. L’éducation étant friande de ces paradoxes, dans des invitations telle que : « sois autonome » ou « prends des initiatives ». La balle assise, dans sa logique interne met en scène la double contrainte : je te lance le ballon, donc je te fais jouer, mais si tu le bloques ou si tu es touché par lui de volée, tu es exclu du jeu. Je peux si je reste porteur, rater délibérément mon tir suivant pour faire en sorte que le ballon passe à proximité de toi et que tu puisses te délivrer. Ce paradoxe crée une incertitude permanente, il crée des tensions qui sont le sel, le pigment du jeu. Tous les jeux institutionnels sont non paradoxaux. Certains jeux traditionnels sont aussi non paradoxaux (passe à 10, balle au but, les barres…), mais tous les jeux paradoxaux sont des jeux traditionnels (les trois camps, la balle assise, le gouret, la galoche, les quatre coins, le meneur…). Comme le notait Parlebas : « n’y aurait-il pas intérêt à faire vivre à l’enfant de tels jeux de rôles contradictoires et développer en lui une tolérance au paradoxe ? » Les jeux paradoxaux offraient pour moi l’avantage d’être relativement proches des relations dans la vie quotidienne. Celles-ci se présentent rarement de manière dichotomique mais plus souvent complexe et parfois même paradoxale ! Les jeux paradoxaux, par leur forte implication motrice me semblaient un ancrage pertinent pour révéler des principes qui me tenaient à cœur et qui me semblaient actifs et à discuter dans une perspective citoyenne.

La socialisation, terme fourre-tout qui, selon Boudon et Bourricaud, dans le Dictionnaire critique de la sociologie (PUF, coll. « Quadrige », 1982), résulterait d’un faux- sens commis par Giddings dans la traduction en anglais (socialization) de la notion de vergesellschaftung (« entrée en relation sociale », « as-sociation ») centrale dans l’œuvre de Simmel, désigne le processus d’assimilation des individus aux groupes sociaux. Six pages expliquent le terme dans ce dictionnaire déjà cité ! Sans s’étendre, ni polémiquer sur le terme, je me référerais cependant à Piaget qui a étudié les étapes de processus fondamentaux de socialisation, conçus comme indépendants des cultures et contextes sociaux particuliers. Ceci a d’ailleurs été l’un des reproches essentiels qu’on a pu lui faire par la suite. Dans ses études sur la formation du jugement moral chez l’enfant, Piaget (et par la suite Kohlberg) énonce certaines étapes que reprennent Méard et Bertone en EPS dans un ouvrage intitulé L’autonomie de l’élève et l’intégration des règles en éducation physique, (PUF, coll. « Pratiques corporelles », 1998). Il me faut donc faire un petit détour sur ces notions abordées. Pour s’approprier les règles, l’enfant passe par un certain nombre d’étapes : l’anomie ou absence de règle si ce n’est son bon vouloir du moment ; l’hétéronomie ou règle perçue comme extérieure ; l’autonomie ou règle tellement intériorisée, incorporée qu’elle semble issue, qu’elle semble émaner de la personne. Chez le jeune enfant cohabitent deux morales (système de règles s’imposant à la conscience, la morale implique le lien social) : un respect unilatéral ou une perception de la règle comme extérieure, sacrée et intangible (peur du gendarme) et un respect mutuel, sorte de forme limite d’équilibre ou une règle intérieure qui seule, peut aboutir à une transformation réelle de la conduite spontanée, et à la construction de sa personnalité. La seule manière d’évoluer vers ce respect mutuel est de mettre en place ce que Piaget appelle le self government et le travail en équipes. Il s’agit de confier aux enfants l’organisation de la discipline scolaire (c’est ce qui se fait dans les règlements de classe véritablement élaborés avec les enfants), c’est le self government, et le travail en équipes qui permet de réduire les égocentrismes, de concilier les intérêts personnels, individuels dans une discipline commune. Le respect est un sentiment qui confère à l’autre une dignité, de la considération, des égards, sentiment sui generis fait d’amour et de crainte… Ceci renvoie à l’idée de réciprocité. Piaget explique que dans le domaine de la justice, tant que le respect unilatéral prime sur le respect mutuel, l’autorité prime sur la justice. Mon souci quant à moi était de faciliter le passage de l’hétéronomie à l’autonomie, c’est-à-dire d’activer l’intériorisation des règles propres au respect mutuel et à la coopération. Etre autonome signifie dans ce cas, non pas se libérer de quelque manière que ce soit de la règle lorsqu’elle s’impose à nous sous la pression du groupe et qu’elle a été considérée bonne objectivement par le groupe, mais en comprendre la nécessité et l’accepter librement. Plus largement, avoir les moyens intellectuels de discuter une règle qui apparaît inappropriée et de l’ajuster tel est pour moi le must de la socialisation.

Les jeux paradoxaux me semblaient propices à susciter cette réflexion sur la règle, mais il fallait que cette réflexion soit formalisée dans un autre lieu : la classe. De plus, les jeux paradoxaux mettent en scène des oppositions qui sont fort éloignées du travail de coopération préconisé par Piaget. C’est là que je m’appuierai sur un autre de mes maîtres à penser : Edgar Morin : « il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitude à partir d’îlots de certitude », Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (Seuil, 2000). Morin insiste sur la nécessité de réformer les esprits et d’intégrer l’idée de complexité. La démocratie est une conquête de la complexité sociale. Les enfants doivent être sensibilisés à cette complexité. Pour le coup, les jeux paradoxaux m’apparaissaient comme le laboratoire idéal pour appréhender la complexité des relations humaines et par delà, l’analyser au cours de débats. Le but étant, à partir d’expériences corporelles communes, de construire des outils cognitifs, conceptuels, susceptibles de servir de boussole pour naviguer dans cet océan d’incertitude. Ce faisant, il me semblait que les enfants développaient des compétences, une certaine expertise dans l’analyse de leurs propres pratiques. Un expert est un individu qui a acquis par l’expérience une grande habileté.

Le dispositif

Mon souci était de trouver une organisation pédagogique qui associait action motrice et réflexion philosophique sans tomber dans le travers de « bouger deux minutes » et de disserter le reste du temps sur cette action. Le temps institutionnel du débat, apparu dans les dernières instructions officielles, me dégageait du temps pour réaliser cette réflexion. Si le premier débat suivant le jeu – était-ce vraiment un débat ? – démarrait, par un retour sur le déroulement du jeu, une analyse des conflits à partir d’un thème qu’amplifiait le jeu choisi. Les débats qui suivaient élargissaient le thème et s’appuyaient sur des scénarii empruntés aux « goûters philosophiques » chez Milan Presse. L’expérimentation du dispositif s’est déroulée dans deux CM de Bellecroix, il y a trois ans, classes de madame Todaro et monsieur Gandard dans le cadre d’un Projet Académique de Recherche et d’Innovation (PARI), cadre institutionnel qui a permis une certaine structuration et formalisation du projet. Cela fait presque 10 ans que je travaille sur ce sujet ! Avant, de nombreux enseignants ont travaillé avec moi : Descartes 1(Borny), Les Isles, Chemin de la Moselle avec Virginie…

La discussion était organisée selon des modalités précises : quatre débatteurs, choisis par le maître et placés en un large demi cercle, faisaient face à une sorte de bureau composé d’un président au centre qui distribuait la parole, par le passage d’un bâton de parole, un secrétaire qui prenait des notes et un synthétiseur qui reformulait ce qui avait été dit toutes les deux, trois interventions des débatteurs. Il arrivait, qu’emportés par l’élan, les rôles des uns et des autres se confondaient ; le synthétiseur ou le président ne pouvaient s’empêcher de donner leur avis. Les débats duraient une dizaine de minutes. Les débatteurs se trouvaient face au restant de la classe qui écoutait et après réflexion, il me semble que j’aurais pu ou du les placer dos à la classe. Au cours d’une séance, 4 à 5 débats pouvaient se dérouler. Après deux à trois séances sur un même thème, par exemple la liberté, il y avait une discussion collective dont le but était de synthétiser ce que les enfants avaient dit sur le sujet. Le PARI, dont j’ai fait mention précédemment, m’a permis de penser et de mettre en place ce dispositif. Il y a quelques années, je me limitais à de vagues discussions après les jeux : Mmes Maréchal et Delaborde entre autres, peuvent en témoigner. Pour avoir un repère, j’ai aussi proposé ce dispositif mais simplifié, à une grande section de Bellecroix, dans la classe de Mme Leclerc-Jacquet. Il s’agissait de proposer le jeu du meneur et d’avoir une discussion ensuite sur le thème du chef, une notion qui m’apparaît comme essentielle dans la socialisation. Cette discussion sur le pouvoir me semble importante pour amener les enfants à prendre en compte les enjeux de pouvoir, les possibilités offertes par le rôle mais aussi les limites de ce statut. Les discussions avec les deux cours moyens pouvaient être différées dans le temps, c’est une variable dont je n’ai pas trop tenu compte. Ce qui m’importait était la reconstruction du collectif, l’argumentation individuelle de chacun dans le groupe, pas nécessairement la vérité du moment du jeu. Il y a eu des moments épiques et des moments de grande émotion où une sorte de prise en charge collective des interventions de l’un se réalisait. Tel ce moment où un enfant intervenant sur le thème du pouvoir nous a dit que son père, selon lui, avait tout pouvoir « il peut même me tuer s’il le veut », « mais je crois qu’il ne le ferait pas » s’est-il empressé d’ajouter. Ce à quoi une petite fille, choquée, s’est retournée vers lui et lui a dit : « mais, t’inquiète pas, il t’aime quand même ! », ce dont le petit garçon ne doutait pas ! Ce moment fort a été l’occasion de partager des conceptions, des représentations et de les mettre en rapport avec des notions fondatrices de la société. Un autre enfant a rappelé qu’on n’avait pas le droit de tuer et nous sommes revenus aux droits de l’homme. Ce principe : le pouvoir est pour moi, je l’ai déjà souligné, un élément capital dans la socialisation. Qui parle de pouvoir habituellement ne conçoit les choses que négativement, c’est presque toujours perçu du côté de l’abus de pouvoir. Pourtant, à mes yeux, une socialisation réussie, active et responsable ne peut faire l’économie d’une discussion de cette notion. Les enfants ont, au travers des jeux paradoxaux, trouvé un ancrage, une assise pour mettre en scène, discuter des représentations de ce pouvoir, de ses implications sur le plan de la liberté, de la justice, de l’égalité et de l’éthique. Ce thème du pouvoir me semble avoir une fonction dans la définition des limites d’un autre concept qui s’est imposé à moi dans le cadre de la socialisation qui est celui de la notion de place : trouver une place, sa place, changer de place, se déplacer, prendre la place, remplacer. Je reprendrais la conclusion d’un article de Marie-Luce Honeste, que m’a aimablement fait parvenir Pierre Péroz, (il faut dire que j’ai la chance d’avoir des collègues que je sollicite grandement et dès que l’un a des « choses » sur ce qui m’intéresse, je suis preneur !), article sur « la notion d’espace en français à travers l’étude de quelques mots de très grande fréquence » : ces polysèmes ne sont pas de simples expressions de la notion d’espace, mais des outils polyvalents de structuration de notre expérience au monde.

Revenons à notre sujet et à notre question : les jeux paradoxaux sont-ils socialisants ? La réponse est bien entendu : non ! Il ne suffit pas d’être à plusieurs à devoir respecter des règles pour qu’il y ait socialisation. Le problème est d’ailleurs que le respect des règles est ce que l’on vient apprendre à l’école et en même temps le préalable nécessaire pour qu’il y ait jeu, dilemme ! Ce qui peut être socialisant est l’utilisation, l’exploitation pédagogique de l’ensemble du dispositif, le bricolage du maître. Les jeux paradoxaux pourront devenir socialisants s’ils sont inclus dans un ensemble plus large qui les utilisera comme des révélateurs, des amorces de discussions sur des notions plus théoriques qui nourriront en retour les jeux, mais pas sur le plan technique ou physique, ailleurs…

Je ne peux pas passer à côté du plaisir de vous citer certaines réflexions d’enfants sur certaines notions abordées. Par exemple, lors d’une discussion de synthèse sur le thème de la justice, une enfant après avoir beaucoup réfléchi nous a dit : « mais finalement, la justice c’est comme les lacets de chaussure, il faut que les deux bouts soient égalisés pour que l’on puisse faire le noeud », ce à quoi un autre enfant lui a fait remarquer que ses deux lacets à lui n’étaient pas égaux, il y avait un petit et un grand et il pouvait encore faire le nœud. La première a renchéri en disant que « si l’un est vraiment trop petit et l’autre beaucoup trop grand, il aura beau tirer, le nœud risque fort de casser ». J’ai arrêté la discussion en disant que la première avait dit égaliser ce qui supposait un mouvement, pas un état statique et que le second avait précisé qu’il n’était pas nécessaire d’être strictement identiques pour pouvoir faire le nœud, tous deux avaient raison : le nœud – ce que les deux bouts avaient en commun – c’était le lien social matérialisé par la loi, et la justice était ce processus d’égalisation, d’équilibre qui permettait au lien social d’exister, de se mettre en place.

Au cours d’un entretien avec une enfant très réservée lors des jeux et débats, à la question : « aurions-nous pu nous passer des jeux et nous limiter aux discussions en prenant appui sur des évènements survenus en récréation par exemple ? », elle m’a répondu indirectement me disant qu’elle était avec un proche et que ce proche voulait lui imposer de manger et elle ne le voulait pas et elle a conclu me disant : « c’était comme si elle voulait vivre ma vie à ma place ». Elle m’a dit qu’avant cette pratique elle n’aurait jamais riposté, elle avait grandi ! Je n’ai pas du tout l’intention de former des rebelles mais de participer avec mes petits moyens à une certaine ouverture d’esprit. Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, éduquer à la citoyenneté c’est donner à chacun les moyens de maîtriser sa vie personnelle et de participer à la vie de la cité. L’éducation à la démocratie passe par la construction de moyens intellectuels, de savoirs, de compétences. Mieux vivre ensemble, être solidaire ne se situe pas dans le respect en commun d’une règle extérieure, mais dans la constitution d’une règle commune : ceci peut s’actualiser dans la création de jeux, l’élaboration de règles. Je retrouve là Piaget qui affirme : « quand des individus pensent en commun, cherchent à se comprendre et apprennent à discuter, certaines règles d’objectivité et de cohérence s’imposent à eux et constituent la logique. C’est la coopération, sous l’aspect intellectuel plus que moral qui façonne la raison humaine et en fait un instrument de vérité… » Du point de vue moral, « si la contrainte exercée par l’adulte, nécessaire (solidarité externe) n’est pas tempérée par la coopération, elle conduit à une morale légaliste… Du point de vue intellectuel, la parole de l’adulte, sous forme coercitive d’une « leçon », et non sous forme coopérative d’une discussion avec l’enfant conduit à un verbalisme… Si le stade de la solidarité externe, hétéronomie, est nécessaire pour que l’enfant s’adapte peu à peu aux réalités sociales grâce à un compromis entre le respect des grands et son propre égocentrisme, le stade du respect mutuel est essentiel pour la compréhension entre les humains ». Il me semble que l’expérimentation a approché modestement cet objectif. Je finirai par cette citation de Montaigne : « on a grand tort de peindre la philosophie inaccessible aux enfants » et encore celle de Karl Jaspers : « les enfants ont souvent une sorte de génie qui se perd lorsqu’ils deviennent adultes ». C’est vrai, je l’ai rencontré !